À l’heure des États généraux de l’information, la nouvelle étude « S’informer à l’ère du numérique » s’intéresse aux habitudes de consommation des médias chez les Français, chamboulées par l’avènement du numérique et la diffusion des technologies.
Depuis vingt ans, le paysage de l’information a considérablement évolué avec la diffusion des technologies numériques qui ont modifié les pratiques. Au-delà des médias dits « historiques » que sont la télévision, la radio et la presse papier, les Français ont désormais accès à une offre plus diversifiée avec des chaînes d’information en continu d’un côté et des médias en ligne de l’autre. L’avènement des réseaux sociaux a aussi modifié la donne avec des contenus créés spécifiquement pour être diffusés sur Instagram, Youtube ou Twitch et plébiscités notamment par les jeunes générations. La démocratisation des ordinateurs, tablettes et smartphones et la généralisation de l’accès à Internet ont également changé la manière dont les Français consomment l’information avec des émissions non plus seulement en direct mais aussi disponibles en service de rattrapage ou à la demande.
Retour sur ces nouvelles habitudes de consommation avec Amandine Louguet, chargée d’études au Département des études de la prospective, des statistiques et de la documentation (DEPS) et autrice de « S’informer à l’ère du numérique », publiée en novembre dernier.
En quoi l’avènement du numérique et la diffusion des technologies ont-ils modifié l’offre et les habitudes de consommation d’information ?
Depuis environ deux décennies, nous sommes entrés dans une ère numérique avec une offre informationnelle qui s’est considérablement développée. En plus de la télévision, de la radio et de la presse papier que l’on avait l’habitude d’utiliser auparavant, de nouveaux types de médias ont fait leur apparition comme la presse en ligne, que ce soit des sites de journaux existants comme Le Monde ou Le Figaro ou des sites d’information dédiés qui n’existent pas en format papier.
Les réseaux sociaux sont devenus des relais de cette presse en ligne avec des journaux qui ont créé leur propre compte et peuvent donc y partager leurs articles. Mais il existe aussi de l’information produite spécifiquement par des créateurs de contenu qui peut être consultée sur des plateformes comme Youtube ou Twitch.
L’étude montre que plus de sept Français sur dix s’informent quotidiennement. Quelles sont les thématiques les plus consultées ?
La politique, les questions de société et l’actualité sportive arrivent en tête pour l’ensemble de la population. On voit quelques variations en fonction de l’âge, du niveau de diplôme ou encore de la catégorie socioprofessionnelle. Au sein de ce podium, la politique reste incontestablement la thématique la plus consultée, toutes caractéristiques sociodémographiques confondues.
La fréquence de l’information reste plutôt stable car le temps accordé aux loisirs, aux pratiques culturelles en général, n’est pas extensible. On peut dire, selon une hypothèse raisonnable que le temps consacré à l’information ne varie pas énormément non plus, malgré la multiplication des médias disponibles et compte tenu du développement des réseaux sociaux et l’offre infinie de médias, d’articles et de contenu.
La télévision, dites-vous, est le média le plus consulté pour s’informer dans toutes les tranches d’âge, ce qui relativise l’importance des réseaux sociaux dans les pratiques informationnelles des Français, et notamment des plus jeunes…
L’enquête Pratiques culturelles montre qu’en 2018 la télévision restait effectivement le média le plus utilisé, peu importe la catégorie d’âge, y compris chez les jeunes, ce qui déconstruit un peu l’idée selon laquelle tout le monde ne s’informerait qu’avec les réseaux sociaux. L’usage exclusif des réseaux sociaux pour s’informer ne concerne d’ailleurs que 2 % de la population, 10 % pour les plus jeunes.
Nous nous sommes intéressés aux différentes associations de médias et avons constaté qu’une partie importante de la population s’informe avec plusieurs canaux : 37 % avec deux d’entre eux et un quart avec trois, ce qui montre une certaine diversité. Dans 13 % des cas, la télévision et la radio sont utilisés ensemble et différentes combinaisons associant la presse papier, la radio et la télévision ont été remarquées. On peut parler, je pense, de complémentarité dans les usages et pratiques entre médias historiques et numériques.
Il faut aussi objectiver ce qu’on regarde sur les réseaux sociaux. Il y a certes des contenus qui sont produits exclusivement pour les réseaux sociaux comme des vidéos ou des podcasts qui ont vraiment vocation à être diffusés sur ces canaux. Mais il ne faut pas oublier que l’on y trouve aussi du contenu qui n’est pas purement numérique comme des rediffusions, des extraits de morceaux d’émissions télévisuelles ou radiophoniques qui sont diffusés à la télévision et à la radio.
Remarque-t-on d’un côté des médias historiques consommés par les personnes plus âgées et de l’autre des médias numériques utilisés par les plus jeunes ?
Les classes les plus âgées ont vécu depuis très longtemps avec la télévision, la radio, la presse papier et restent certainement dans leurs habitudes, contrairement aux classes d’âge les plus jeunes, qui ont toujours connu le numérique. Pour celles-ci, la question de la compétence vis-à-vis du numérique ne se pose pas vraiment parce qu’elles ont ces outils entre les mains depuis longtemps.
Mais d’autres paramètres peuvent expliquer qu’une certaine partie de la population, pas forcément très jeune, s’informe davantage avec les médias numériques comme les cadres, les catégories socioprofessionnelles les plus favorisées et les classes plus diplômées. On peut l’expliquer par le fait que, par leurs fonctions professionnelles, ils utilisent davantage les technologies numériques et ont développé des compétences assez spécifiques dans ce domaine. C’est donc une partie de la population en capacité d’utiliser les réseaux sociaux et les sites d’information en ligne. Les habitants de l’agglomération parisienne ont également une sociologie assez spécifique avec certainement une concentration de cadres, de catégories socioprofessionnelles les plus favorisées et de personnes diplômées, ce qui explique des pratiques davantage numériques.
D’autres, au contraire, sont touchées par ce qu’on appelle l’illectronisme, c’est-à-dire des difficultés particulièrement importantes dans le domaine du numérique, ce qui peut expliquer que ces catégories se tournent moins vers les réseaux sociaux et les médias en ligne de manière générale.
La diversification des canaux d’information a-t-elle eu un impact sur les usages des médias historiques que sont la télévision, la radio et la presse ?
Cela peut en partie effectivement expliquer le fait que la télévision, la radio et la presse papier soient moins mobilisés pour s’informer. Toutefois, on note dans les éditions précédentes de l’enquête Pratiques culturelles de 2018 que ces différents médias étaient déjà en recul. Par exemple, la lecture et la lecture de presse ont décliné depuis plusieurs décennies et l’audience de la radio diminue aussi depuis les années 1990 donc avant l’émergence du numérique. On remarque aussi une baisse générale de l’audience de la télévision. De ce point de vue, il y a peut-être une concurrence avec le numérique mais pour les autres médias, ça ne s’explique pas, ou du moins pas totalement, par l’arrivée de ces nouvelles technologies.
Dans cette étude, vous consacrez plusieurs développements aux Outre-mer. Les habitudes et canaux d’information sont-ils différents dans ces territoires par rapport à la France métropolitaine ?
On observe des comportements informationnels différents dans les territoires ultramarins par rapport à l’Hexagone. Ils s’expliquent d’une part par des raisons assez factuelles et d’autre part par des habitudes ancrées dans les territoires. Par exemple, l’offre de presse papier y est beaucoup moins importante qu’en France hexagonale car il faut faire venir ces journaux internationaux ou nationaux, ce qui représente un certain coût. La presse coûte plus cher dans ces territoires alors que le niveau de vie est plus faible avec une part plus importante qu’en France métropolitaine de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté. On a le cas spécifique de Mayotte où la presse papier n’est plus distribuée depuis plusieurs années sur le territoire.
L’offre télévisuelle est moins importante qu’en France métropolitaine, même si on peut toujours regarder les chaînes grâce aux abonnements internet. Toutefois, on note que l’usage de la radio est relativement important dans les territoires d’Outre-mer, avec une offre plus développée. Cela peut en partie s’expliquer par l’importance de l’oralité. L’écrit a par conséquent une place moins prégnante, ce qui peut expliquer une moindre mobilisation de la presse papier dans les territoires.
Enfin on constate que les pratiques numériques peuvent parfois être plus importantes dans les territoires ultramarins mais qu’il y a quand même une part de la population touchée par l’illectronisme. Les compétences numériques ne sont pas toujours aussi importantes et par ailleurs, il reste des freins économiques et matériels dus à cette question du coût de la vie. Pour consulter les réseaux sociaux, il faut un smartphone et cet équipement n’est pas présent dans tous les ménages.
Lire : sur le site du ministère de la culture, publié le 3 janvier
Télécharger : l’étude (26 pages)