Le ministère de la Transition écologique prévoit de passer de 50 à 95 % le taux plancher de papier recyclé utilisé pour l’impression des journaux dès le 1er janvier 2021. Le dernier papetier français n’y survivrait pas et la presse se trouverait pénalisée par cette mesure écologique trop rapide.
L’alerte a été donnée mi-octobre par l’industrie papetière et provoque depuis une onde de stupéfaction et d’inquiétude au sein de l’ensemble de la filière et de la presse quotidienne française.
S’appuyant sur la loi relative à l’Anti-gaspillage et à l’économie circulaire (Agec) publiée en février, un projet de décret du ministère de la Transition écologique prévoit de faire bondir le taux de fibres recyclées présent dans le papier journal de 50 à 95 % dès le 1er janvier 2021. Ce taux est tout simplement « inapplicable », juge Pierre Petillault, directeur général de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) qui représente près de 300 titres de presse quotidienne et hebdomadaire.
Pierre Louette, PDG du groupe Les Échos – Le Parisien et président de l’Apig, dénonce une manœuvre torve, « un cas d’école de dérapage de la puissance publique. Ce projet est impossible à réaliser car il ne correspond en rien à la réalité. La dernière papeterie française en service ajoute encore entre 30 et 50 % de fibres vierges, donc non recyclées, dans son papier. Elle ne peut répondre à ce critère dans un délai aussi court et se trouve menacée » (lire par ailleurs). Basée dans les Vosges à Golbey, la papeterie Norske Skog et ses 350 salariés n’y survivraient pas (lire ci-contre).
Jean-Michel Baylet, président du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR), assure que les éditeurs « sont pleinement conscients de l’importance de la transition écologique. Nous avons tous réalisé des efforts. Aujourd’hui, nous utilisons du papier contenant entre 50 et 100 % de fibres recyclées. Mais cette hausse, d’un coup d’un seul, prise sans concertation, est trop brutale et aura un impact lourd sur l’économie de nos titres de presse ».
Une facture de 25 M € pour l’ensemble des titres
Pour l’Alliance, la mise à jour de ce critère n’est qu’une intention doucereuse de se conformer à la Convention citoyenne pour le climat. « Le ministère souhaite que 50 % du papier utilisé par toute la presse soit recyclé. Or, les magazines, avec leur papier glacé traité, ne peuvent s’y soumettre », argumente Pierre Louette. L’effort est donc intégralement reporté sur la presse quotidienne. « Scandaleux, injuste, coûteux et inéquitable », tempête Jean-Michel Baylet.
Les conséquences sont loin d’être neutres. Les magazines, utilisateurs des papiers les plus polluants, ne seraient soumis qu’à un taux de 0 à 10 % de recyclé. Ils pourront toujours bénéficier de l’éco-contribution en nature versée sous forme de publicité gratuite en faveur de Citeo, l’entreprise spécialisée dans le recyclage bénéficiant de l’agrément de l’État. En revanche, les titres de la presse quotidienne, plus vertueux, jusque-là tenus à un taux plancher de 50 %, se verraient barrer l’accès à cette éco-contribution et devraient s’acquitter d’une taxe s’ils ne s’alignent pas au taux de 95 %. La facture est évaluée pour l’ensemble des titres « à 25 millions d’euros ».
Pierre Louette et Jean-Michel Baylet défendent donc une hausse des normes progressive. Ils soulignent surtout le paradoxe de lancer d’un côté un plan de soutien à la filière presse confrontée à l’érosion systémique de sa diffusion et de l’autre de lui imposer des critères de recyclabilité intenables et ouvrant droit à des pénalités. La situation est d’autant plus ubuesque qu’elle incitera les quotidiens à se détourner de la production de papier journal française pour s’approvisionner à l’étranger, y compris en dehors de l’Union européenne, dégradant de manière conséquente leur modèle économique et… leur empreinte environnementale.
Lire : L’Est Républicain du 18 novembre