Le spécialiste suédois du papier Lessebo n’a pas encore obtenu les financements nécessaires pour confirmer son offre de reprise.
Une douche froide, glacée même. Mercredi 20 mars au matin, les 300 salariés d’Arjowiggins qui faisaient le pied de grue devant le tribunal de commerce de Nanterre (Hauts-de-Seine) ont vu leurs représentants ressortir de l’audience la mine sombre. « Ce sera certainement une liquidation judiciaire pour le site de Bessé-sur-Braye », lâche Laurent Trudel, délégué CGT de l’usine concernée dans la Sarthe. « Le tribunal a laissé très peu de chance. Il estime que les prêts du repreneur ne sont pas assez garantis », explique le délégué CGT.
Le 19 mars, les organisations syndicales (CGT, CFDT, CFE-CGC et FO) avaient pourtant cosigné un communiqué apportant un soutien unanime au spécialiste suédois du papier Lessebo Paper, adhérant « au projet industriel et commercial » qu’elles jugeaient « cohérent et pertinent ».
Le tribunal de commerce ne l’a pas entendu ainsi et a mis sa décision en délibéré jusqu’au mardi 26 mars. « L’audience ne s’est pas bien passée, confirme Thomas Hollande, avocat du cabinet LBBA, qui conseille les salariés. Lessebo Paper a reconnu que son offre ne pouvait pas être examinée par le tribunal car il n’était pas en capacité de garantir la date à laquelle il pourrait disposer des fonds prêtés par les banques suédoises ».
Pourtant, entre cette audience et la précédente (6 mars), la somme jugée nécessaire pour ce projet de reprise est passée de 65 millions d’euros à 50 millions, équitablement partagée entre le repreneur et les pouvoirs publics (la Banque publique d’investissement et les Régions Pays de la Loire et Centre).
« Un coup de massue »
Lessebo Paper est le seul à avoir formulé une offre pour les trois usines du papetier Arjowiggins, qui emploient 913 salariés en Sarthe et dans l’Aisne. Il prévoit de maintenir 413 salariés sur 568 à Bessé-sur-Braye (papier recyclé), 210 sur 270 chez les voisins de Saint-Mars-la-Brière (ouate de cellulose), et la totalité des 75 salariés de Greenfield (pâte à papier recyclée), à Château-Thierry (Aisne). Ces deux derniers sites font l’objet d’offres alternatives que le tribunal jugerait recevables.
Si Lessebo Paper ne parvient pas à décrocher in extremis les garanties financières promises, seul le site de Bessé-sur-Braye serait confronté à une liquidation judiciaire. « On a demandé un ultime report de quinze jours, plaide encore Thomas Hollande, mais les mandataires et administrateurs judiciaires ont dit que c’était trop tard et ont demandé la liquidation d’Arjowiggins à Bessé-sur-Braye. C’est un coup de massue pour les représentants du personnel et leurs conseils. »
Christelle Morançais, présidente (LR) du conseil régional des Pays de la Loire et Sarthoise de naissance, veut encore croire que « rien n’est fait ». Elle a écourté la session du conseil régional pour se consacrer au dossier Arjowiggins, ce vendredi 22 mars. « Il faut à tout prix que le futur repreneur apporte des éléments nouveaux. C’est très urgent, c’est le seul moyen d’être pris en considération. Nous, Etat et Région, on a fait ce qu’il fallait pour l’accompagner. Bessé-sur-Braye, c’est là où il y a le plus de salariés et c’est le territoire le plus isolé. Le bassin d’emploi le plus proche est à 50 minutes en voiture. Vous imaginez le drame social ? », s’inquiète-t-elle.
« On a encore un très faible espoir »
« On a encore un très faible espoir, reprend Laurent Trudel. On est les seuls à faire du papier 100 % recyclé. En France, on consomme chacun 100 kg de papier par an et on ne recycle en moyenne qu’une feuille sur quatre. Il y a encore un potentiel énorme. Si l’usine ferme, il va falloir partir. Ce sera une vie qui change complètement et un village qui meurt. »
Une issue d’autant plus rageante que le précédent actionnaire (Sequana) est suspecté par les salariés d’avoir ponctionné 12 à 15 millions d’euros dans les comptes de l’usine de Bessé-sur-Braye après la cessation de paiement, prononcée le 15 novembre 2018. Les représentants du personnel ont écrit au procureur de la République pour signaler cette pratique illégale. Leur avocat confirme : « On se réserve la possibilité d’engager des actions judiciaires à ce sujet. »