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Tout comprendre au droit voisin

Au centre du contentieux entre Google et les médias

 

Depuis jeudi, la France est le premier pays de l’UE à appliquer la directive européenne sur ce droit d’auteur réservé à la presse.

 

La France est le premier pays de l’Union européenne à appliquer, dès le jeudi 24 octobre, la directive européenne sur le droit voisin, un droit d’auteur réservé à la presse au centre d’un conflit entre les médias et Google depuis son adoption par le Parlement européen, à la fin du mois de mars.

 

Dans une tribune publiée, mercredi 23 octobre, sur plusieurs médias européens, dont Le Monde, 800 journalistes et personnalités du monde des médias et de la culture réclament aux pouvoirs publics une « contre-attaque » face à la multinationale. Favorables au droit voisin, ils en critiquent l’application prévue par Google. Selon eux, le groupe américain contourne la directive en conditionnant la mise en avant de leur contenu à une réutilisation gratuite d’extraits de leurs articles et de leurs vidéos.

 

Que prévoit ce droit, et pourquoi les nouvelles règles que Google a commencé à déployer, pour s’y adapter, sont-elles critiquées par la presse et le gouvernement ?

Qu’est-ce que le droit voisin ?

 

Si le droit d’auteur est un droit de propriété intellectuelle sur une œuvre de l’esprit, les « droits voisins du droit d’auteur » sont accordés à des personnes physiques ou morales qui ont participé à la création de cette œuvre, mais n’en sont pas les auteurs premiers. Les entreprises de presse sont concernées, car elles accompagnent les journalistes dans la publication des articles de presse, sans en être directement l’auteur.

 

Celles et ceux qui bénéficient d’un « droit voisin » peuvent toucher des droits patrimoniaux lorsque l’œuvre est utilisée et ont un droit moral sur le respect de l’œuvre. Ce type de droit existe déjà dans la musique pour les artistes interprètes et les producteurs, par exemple.

 

Institué par l’article 15 de la directive européenne sur le droit d’auteur, adopté par le Parlement européen à l’issue d’une intense bataille de lobbying, le droit voisin a été conçu pour aider les éditeurs de journaux et magazines, dont Le Monde, ainsi que les agences de presse, à se faire rémunérer par les grandes entreprises réutilisant leur contenu (le texte d’un article, par exemple) sur Internet.

 

Si son principe est fixé dans la loi, les modalités d’utilisation des articles et leur prix sont à négocier entre éditeurs de presse et plates-formes. La France est le premier pays de l’Union européenne à appliquer cette réforme, dès jeudi, et donc le premier à faire face aux dispositifs mis en place par les grands groupes du numérique, notamment Google.

Quelles sont les nouvelles règles appliquées par Google ?

 

Pour se mettre en conformité avec cette réforme, Google a présenté le mois dernier les nouvelles règles qu’il appliquera en France aux éditeurs de presse européens à compter de jeudi, et qu’il a commencé depuis quelques jours à déployer.

 

Concrètement, le géant du numérique n’affichera plus d’extraits d’articles (dont le titre, le chapô et le début du texte de l’article) ni de photos et aperçus de vidéos, dans les résultats de son moteur de recherche ainsi que dans son service Google actualités, sauf si les éditeurs l’autorisent à le faire gratuitement.

 

Si les éditeurs refusent l’utilisation gratuite de ces extraits, Google continuera de référencer leurs infos, mais sous une forme beaucoup plus austère qu’actuellement (un simple titre et un lien). La crainte des médias est de voir une grande partie de ses lecteurs habituels ne plus cliquer sur des liens contenant aussi peu de détails sur les contenus, avec des conséquences importantes sur les revenus des journaux et des sites d’information.

 

Le responsable de l’information chez Google, Richard Gingras, a expliqué que son groupe refusait par principe de payer les éditeurs de presse pour leurs productions. A la place, il fait valoir l’énorme trafic que Google apporte aux sites de presse, ainsi que ses nombreux outils mis gratuitement à disposition des journalistes et son fonds de soutien à l’innovation dans les médias.

Que reprochent les éditeurs de presse à Google ?

 

Les éditeurs de presse voient dans la position de Google une façon de contourner l’esprit de la loi, et un diktat auquel ils peuvent difficilement se soustraire. Car s’ils refusent d’accepter l’utilisation gratuite de leurs contenus, ils sont certains de voir le trafic vers leurs sites chuter, vu la part très importante que représente Google dans l’origine de leurs visiteurs.

 

Face au risque d’une perte d’audience importante, tout en continuant de s’opposer au dispositif déployé par Google, beaucoup de médias, dont Le Monde, ont donc déjà accepté l’utilisation gratuite des extraits et vignettes.

Quelle est la position du gouvernement ?

 

La France s’est mobilisée jusqu’au sommet de l’Etat pour faire adopter la réforme européenne du droit d’auteur, et elle est de nouveau montée au filet depuis l’annonce de Google, qui est le premier à s’être exprimé sur les droits voisins, mais n’est pas le seul groupe concerné : les moteurs de recherche comme Yahoo et Bing, ainsi que des agrégateurs de contenus comme Apple News et les réseaux sociaux Twitter et Facebook pourraient être amenés à se positionner sur le sujet.

 

Le gouvernement a déclaré vouloir se battre sur plusieurs fronts, notamment en mobilisant les Européens et en posant la question d’un éventuel abus de la « position ultra-dominante » de Google parmi les moteurs de recherche. L’autorité de la concurrence française s’est saisie début octobre du dossier.

 

« Nous ne laisserons pas faire et très clairement demandons aux autorités nationales et européennes de la concurrence d’examiner et d’engager au plus vite toutes les procédures possibles et au-delà », a déclaré le président Emmanuel Macron, après avoir abordé la question avec la chancelière allemande lors du conseil franco-allemand qui s’est tenu mi-octobre à Toulouse. Il a, en outre, proposé de développer « de nouvelles règles pour réguler les grandes plates-formes », avec « des mécanismes de sanction plus rapides ».

 

Lire : Le Monde du 23 octobre

 

Jean-Philippe Behr

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