CCFI

Taxer le livre d’occasion : la question qui agite l’industrie du livre

Il y a une semaine, Emmanuel Macron a publiquement ouvert la voie à la création d’une taxe sur les livres d’occasion. Le Syndicat national des éditeurs plaide pour un prélèvement de l’ordre de 20 centimes d’euro par exemplaire, dont le cumul serait reversé aux auteurs et aux éditeurs.

Prise de position. Contre-annonce. Et maintenant, le mystère. Il y a une semaine, le ministère de la Culture se prononçait, auprès des « Echos » , contre le principe d’une taxe sur les livres d’occasion, dont l’essor spectaculaire générerait un manque à gagner pour les auteurs et éditeurs, qui s’en inquiètent.

Mais dès le lendemain, Emmanuel Macron, en visite au Festival du livre , ouvrait la voie à cette même taxe. « On va mettre en place au moins une contribution qui puisse permettre de protéger le prix unique et permettre à nos auteurs, éditeurs et traducteurs aussi d’être mieux aidés […]. Le livre d’occasion, quand il est fléché par certaines plateformes, c’est une espèce de mauvais usage, en tout cas de contournement de ce prix unique », a déclaré le président de la République, précisant que la ministre de la Culture, Rachida Dati, allait faire des annonces plus détaillées avant la fin du salon qui a fermé ses portes dimanche dernier.

Depuis, tout le secteur est dans l’expectative… et/ou fait entendre sa voix. « Nous sommes pour une taxe semblable à celle sur le streaming musical. Mais notre message n’est pas ‘haro sur l’occasion’ et nous ne visons évidemment pas les bouquinistes des quais de Seine ou les brocantes, note Renaud Lefebvre, directeur général du Syndicat national de l’édition, réunissant les grands éditeurs (Editis, Gallimard, Média-Participations, Hachette, etc.). Le problème avec les livres d’occasion, c’est que ce sont les plateformes de vente en ligne qui sont les plus gros revendeurs. Et, comme c’est souvent le cas, cette économie ne profite qu’aux grandes plateformes. Au détriment de toute l’industrie. »

Un marché qui a pesé 350 millions d’euros en 2022

Vinted, Leboncoin et dans une moindre mesure Rakuten, Amazon ou Momox : voilà la liste des cinq plus gros revendeurs en ligne de livres d’occasion en France, selon une étude réalisée l’an passé par la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia) et le ministère de la Culture.

D’après ce rapport, un livre d’occasion sur deux est vendu en ligne. La principale motivation des acheteurs – qui sont pour la majorité des grands lecteurs et CSP + -, avec ces produits de seconde main ? Le pouvoir d’achat, selon cette étude qui estime que ce marché a pesé, en valeur, 350 millions d’euros en 2022 et qu’un livre vendu sur cinq l’a été sur le marché de l’occasion lors de cet exercice.

« Faire attention aux effets collatéraux »

« On n’est sans doute aujourd’hui plus proche d’un livre sur quatre », estime Renaud Lefebvre qui plaide pour un prélèvement de l’ordre de 20 centimes d’euro par exemplaire, dont le cumul serait reversé aux auteurs et aux éditeurs. « Il faut faire vite car le marché progresse très rapidement et nous appelons à ce que ce nouveau dispositif soit intégré dans la prochaine loi de finance pour une application en 2025. »

Reste que cette position n’est pas parfaitement analogue à tous les maillons de la chaîne du livre. « Cette taxe est une idée intéressante. Encore faut-il voir comment serait réparti son produit entre les éditeurs et les auteurs, alors que ces derniers pâtissent fortement de la répartition inégale de la valeur dans le secteur qui est le vrai sujet, au-delà de la publicité à la télévision ou des livres d’occasion », prévient Stéphanie Le Cam, directrice de la Ligue des auteurs professionnels.

« Mais avant d’aller sur le terrain de la taxe, pourquoi ne pas interdire aux sites de ventes en ligne de vendre à la fois des livres neufs et des livres d’occasions, ce qui génère une concurrence déloyale pour les premiers. Ou mettre en place une sorte de chronologie des médias appliquée aux livres avec une interdiction de les revendre sur le marché de la seconde main avant une période donnée », poursuit-elle.

« La filière se paupérise  »

Quid des librairies ? « Nous ne disposons d’aucun détail et il n’est pas possible de se prononcer pour ou contre en l’état. Mais il faut faire attention aux effets collatéraux. Certaines librairies, qui sont majeures dans l’écosystème et font vivre le fond des éditeurs, traversent une période économique difficile et pourraient être potentiellement affectées par une taxe de ce type », pointe Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française, dont les adhérents pèsent plus des trois quarts du chiffre d’affaires national des librairies indépendantes

« Ce débat est un symptôme de notre industrie. On parle ici de taxer des activités qui se trouvent à la périphérie du marché du livre pour les réallouer à des acteurs du secteur dont la santé économique est fragile, poursuit-il. Mais le fond du problème est que la filière se paupérise et ne génère pas assez de valeur ajoutée et c’est cela qu’il faudrait résoudre. »

 

Lire : Les Echos du 18 avril

 

Jean-Philippe Behr

Nos partenaires

Demande d’adhésion à la CCFI

Archives

Connexion

Vous n'êtes pas connecté.

Demande d’adhésion à la CCFI