Le nombre d’abonnés à ses différentes newsletters est passé de 11.000 à 250.000 en deux ans. L’entreprise californienne cueille les fruits du développement d’une logique proche des influenceurs chez les journalistes, de plus en plus nombreux à faire de leurs noms des marques indépendantes de leurs rédactions.
La plateforme affirme que ses auteurs peuvent gagner 100.000 dollars par an s’ils convainquent « quelques milliers de personnes » de s’abonner pour 5 dollars par mois. (DR)
C’est une star du journalisme technologique qui se lance en solo. Après sept ans chez « The Verge » dont deux à proposer une newsletter gratuite devenue un « must read » dans la Silicon Valley, Casey Newtown a décidé de quitter le média en ligne pour lancer sa propre newsletter payante sur Substack.
Le journaliste rejoint une longue liste de confrères comme Polina Marinova de « Fortune » et Alex Kantrowitz de « Buzzfeed ». Avec son site permettant de publier très facilement ses articles en ligne et d’envoyer une newsletter avec une version payante par e-mail, Substack se targue de pouvoir créer des « mini-empires médiatiques ». Le nombre d’abonnés à ses différents bulletins est passé de 11.000 à 250.000 en deux ans et ses dix plus gros auteurs prévoient de générer collectivement sept millions de dollars de chiffre d’affaires cette année. La start-up se rémunère en prélevant une commission de 10 % sur les abonnements.
7 millions de dollars pour les 10 premiers auteurs
Créée en 2017 à San Francisco, Substack cueille les fruits de l’installation des réseaux sociaux comme principale porte d’entrée des lecteurs. Cette transformation a poussé de nombreux journalistes et académiques à cultiver leurs propres audiences, voire leurs propres marques, avec une logique proche des influenceurs. « Vous suivez peut-être une publication, mais c’est plus probable que vous soyez sensibles à un reporter […], YouTuber ou podcasteur précis. Les gens sont de plus en plus disposés à payer pour soutenir ces gens », explique Casey Newton au « New York Times ».
Substack s’éloigne du modèle gratuit de Medium pour imiter celui de Patreon, une plateforme d’abonnement permettant de soutenir le travail de dessinateurs, musiciens ou Youtubeurs, en forte croissance. Le site a été créé par trois anciens de l’application de messagerie Kik Interactive et a levé 17 millions de dollars, notamment auprès d’Andreessen Horowitz (Facebook, Pinterest, Slack…) depuis ses débuts. L’idée est née de la frustration de Chris Best, l’un de ses cofondateurs canadiens, par rapport à Twitter. Le directeur technologique de Kik Interactive était attiré par « la connexion aux gens et aux idées qui comptent » mais détestait « l’addiction, les abus et l’outrage » sur la plateforme. Il a imaginé une alternative permettant aux « esprits brillants » de s’extirper de la pression de la viralité des réseaux sociaux pour privilégier la qualité.
Crise de la presse écrite
Le succès de la plateforme vient aussi de la recherche d’alternatives de la part de journalistes confrontés à la crise de la presse écrite. Sur les quinze dernières années, près de la moitié des effectifs des titres régionaux américains ont été éliminés, et les licenciements se sont accélérés avec la pandémie.
Reste que le modèle économique de Substack doit encore faire ses preuves. La plateforme affirme que ses auteurs peuvent gagner 100.000 dollars par an s’ils convainquent « quelques milliers de personnes » de s’abonner pour 5 dollars par mois. Son plus gros succès pour le moment est The Dispatch, un titre créé par les rédacteurs en chefs de deux publications conservatrices, qui a gagné 100.000 abonnés, dont 18.000 payants, en un an. Le site a embauché 12 employés et mise sur 2 millions de dollars de chiffre d’affaires fin 2020. De tels résultats ne sont pas faciles à atteindre pour ceux n’ayant pas déjà développé une audience massive sur les réseaux sociaux avant de se lancer.
Pour convaincre davantage de journalistes de sauter le pas, Substack propose désormais des avances allant jusqu’à 20.000 dollars et développe des services proches de ceux offerts par les rédactions, notamment une aide juridique. La société envisage aussi de créer des bouquets pour atteindre davantage de lecteurs. « Les gens ne veulent pas ça à la carte, en payant pour six abonnements », souligne Ann Helen Petersen, ancienne journaliste chez Buzzfeed qui a 23.000 abonnés dont 2.000 payants à sa newsletter culturelle sur Susbtack.
Lire : Les Echos du 18 octobre