Face aux critiques des industriels et de certains Etats membres, la Commission européenne propose de repousser d’un an l’application d’un texte clé du Pacte vert. Il doit interdire une série de produits issus de la déforestation comme le café, le bœuf ou encore le bois.
C’est un nouveau coup porté au Pacte vert. Sous la pression de l’industrie et des pays producteurs de matières premières, la Commission européenne a annoncé mercredi le report d’un an de sa loi anti-déforestation, qui devait entrer en vigueur à la fin de l’année et fait l’objet de virulentes critiques.
Adopté fin 2022 et considéré comme historique, le texte interdit la vente sur le territoire européen de toute une série de produits issus de la déforestation tels que le café, le boeuf, le soja, le cacao ou encore le bois. Si l’Europe espère ainsi en finir avec les tronçonneuses et bulldozers qui défrichent les forêts, la complexité des règles fait hurler les industriels du monde entier et certains Etats membres.
Tracer chaque copeau de bois
Aux termes de la loi, les entreprises devront prouver que les matières premières ayant servi à la conception des produits qu’elles vendent en Europe n’ont pas été cultivées sur des terres déboisées ou dégradées après 2020. Ce qui suppose par exemple de tracer chaque copeau de bois jusqu’à la parcelle forestière d’origine…
Compte tenu du « caractère novateur » de la loi, « du calendrier rapide et de la diversité des parties prenantes internationales concernées, la Commission considère qu’un délai supplémentaire de douze mois pour la mise en place progressive du système est une solution équilibrée pour aider les opérateurs du monde entier à assurer une mise en œuvre sans heurts dès le départ », a-t-elle justifié.
Le report, qui nécessite encore l’approbation du Parlement européen et des Etats membres, verrait désormais la loi s’appliquer à partir du 30 décembre 2025 pour les grandes entreprises, et du 30 juin 2026 pour les microentreprises et les petites entreprises.
« Monstre bureaucratique »
Ces dernières semaines, plusieurs groupes industriels ont mis en garde contre des perturbations de l’approvisionnement et l’inflation rampante. Partout dans le monde, les acteurs de l’agriculture se sont alarmés que la loi pénalise les petits exploitants et freine les exportations de cultures essentielles.
Des Etats membres, aussi, ont fait part de leurs préoccupations dont l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande ou encore la France, qui accorde une haute importance à ce texte qu’avait porté Emmanuel Macron. En juin, les Etats-Unis ont fait sensation en réclamant de retarder ces nouvelles règles, affirmant que les producteurs américains n’auraient pas le temps de s’y conformer.
Certains négociants en bois américains disaient alors envisager d’interrompre leurs contrats d’exportation vers l’UE, faute de pouvoir fournir les preuves nécessaires à leur origine. Du côté des acteurs du café, un grand torréfacteur avait prévenu que le consommateur européen paierait plus cher quand la réglementation entrerait en vigueur.
L’Indonésie et la Malaisie, principaux pays producteurs d’huile de palme, ont également appelé à repousser les échéances, tout comme de petits producteurs de pays en développement, notamment africains ou sud-américains.
Au Parlement européen, les socialistes & démocrates et les Verts sont, eux, opposés à un report, au contraire du PPE, parti majoritaire de droite, qui a taxé la loi de « monstre bureaucratique », réclamant même sa révision, ce que la Commission se refuse, pour l’heure, à faire.
Liste de « pays critiques »
Ce mercredi, Bruxelles a aussi publié ses « lignes directrices » pour aider les entreprises à se préparer à appliquer le texte. A l’origine, elles étaient attendues en mars 2024 et réclamées à cor et à cri. Elles ont vocation à clarifier des définitions telles que « dégradation des forêts », à donner des précisions sur les obligations de traçabilité ou encore sur les sanctions.
Alors qu’elle doit établir une très redoutée liste de pays « critiques » dans le cadre de cette loi, la Commission prévient que « selon la méthodologie appliquée, une grande majorité de pays dans le monde seront classés comme à faible risque ». Le degré de vérification par les autorités douanières variera en fonction de ce classement.
Cette décision intervient alors que le Pacte vert européen, qui doit décarboner l’UE pour atteindre la neutralité climatique en 2050, est de nouveau la cible d’attaques en cette rentrée.
Désormais, tous les regards sont tournés vers les constructeurs automobiles qui réclament, eux aussi, des « mesures d’urgence » à Bruxelles, avant l’entrée en vigueur d’objectifs d’émissions de CO2 plus stricts en 2025, qui pourraient potentiellement coûter des milliards d’amendes à certains d’entre eux.