Après celles du gouvernement français, de nouvelles voix s’élèvent en Europe pour limiter la portée de la directive qui révolutionne le reporting extra-financier. Les organisations professionnelles des entreprises s’engouffrent dans la brèche.
Voilà plus de quatre ans que la directive CSRD, celle qui révolutionne le reporting extra-financier, est attaquée. Ce, de toutes parts, par des députés comme des hommes politiques plutôt conservateurs, par les entreprises, grandes et petites. Bien que ce texte soit entré en vigueur début 2024, les tentatives de déstabilisation à son égard continuent. Dernière en date, celle du ministre français de l’Economie et des Finances. Dans « Les Echos » du 3 novembre, Antoine Armand a assuré que « le nombre d’entreprises concernées et d’indicateurs obligatoires » n’était pas raisonnable. Quelques jours plus tôt, face à des contraintes réglementaires jugées trop lourdes, le Premier ministre Michel Barnier avait indiqué dans une interview au « JDD » être favorable à une forme de moratoire pour décaler son application.
Cette réglementation européenne vise à rendre les entreprises plus responsables en les obligeant à divulguer leur impact sur les personnes et la planète. Elle impose à certaines entreprises (selon leur taille et leur chiffre d’affaires) de publier des informations sur les risques sociaux et environnementaux auxquels elles sont confrontées et sur l’impact de leurs activités sur les personnes et l’environnement. L’objectif est de permettre aux investisseurs et aux autres parties prenantes d’évaluer les performances des entreprises en matière de développement durable.
Les entreprises cotées remplissant deux des trois conditions prévues (un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros, un bilan supérieur à 25 millions d’euros ou un effectif d’au moins 500 employés) devront l’appliquer à partir de 2025. La date butoir a déjà été reportée à 2026 pour les entreprises de plus de 250 salariés qui remplissent ces mêmes critères, et 2027 pour les PME cotées en Bourse (sauf pour les microentreprises avec moins de 10 salariés).
Alléger les contraintes
Les offensives pour réduire la portée de la directive CSRD vont se poursuivre. Parmi les missions que la présidente de la Commission européenne a décidé de confier au vice-président exécutif chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle figurent l’allégement des charges administratives et la simplification de la législation. Ce dernier devra réduire les obligations de communication d’informations d’au moins 25 % – et d’au moins 35 % pour les PME. Il devra aussi « diriger les travaux portant sur l’établissement d’une nouvelle catégorie de petites entreprises à moyenne capitalisation et évaluer si la réglementation existante entrave de manière injustifiée leur développement ». Stéphane Séjourné, candidat français à ce poste , devra être convaincant, notamment, sur ces points lors de son audition devant les élus de Strasbourg, le 12 novembre prochain.
En attendant, à Bruxelles, à Paris comme à Berlin, les entreprises s’organisent, au travers de leurs organisations professionnelles, pour tenter, encore une fois, d’alléger leurs contraintes. Prochaine cible : les normes de reporting pour les PME cotées. Ces standards sont déjà allégés par rapport à ceux qui s’appliquent aux plus grandes entreprises. L’Efrag, l’organisme européen chargé de les édicter, a déjà dû revoir sa copie et réduire de 50 % le nombre de données à reporter, à la suite d’une consultation publique qui s’est achevée au printemps dernier.
« Pour rédiger leurs nouveaux rapports de durabilité, les entreprises sujettes à la réglementation CSRD vont devoir demander à leurs sous-traitants les informations dont elles ont besoin. Or, souvent de petite taille, ces derniers ne sont pas soumis, eux-mêmes, au reporting de leurs données extra-financières. Et le texte européen a une particularité : il spécifie que les entreprises ne peuvent demander à leurs fournisseurs plus d’informations que celles qui sont requises pour le reporting des PME cotées », indique une source au Parlement européen. Par conséquent, plus le reporting des PME cotées sera faible, plus les informations communiquées par les grandes entreprises concernant leurs fournisseurs pourront être parcellaires.
Expert en durabilité
Les données reportées doivent être auditées par un tiers de confiance, expert en durabilité qui va évaluer uniquement les efforts mis en oeuvre par les entreprises pour aller chercher les informations nécessaires, et non leur qualité. Ces sociétés pourront donc se prévaloir auprès de leur auditeur, comme auprès des autorités de supervision, du faible niveau d’exigence des normes pour avoir failli à un reporting de qualité.
Autre cheval de bataille : relever les seuils et créer une nouvelle catégorie d’entreprises intermédiaires, entre 250 salariés et 750 salariés voire plus, qui n’aurait à se soumettre qu’aux règles s’appliquant aux PME cotées, donc allégées.
Pour l’heure, plus d’une dizaine de pays européens n’ont pas encore transposé la directive CSRD. Fin septembre, la Commission européenne a dû ouvrir à leur encontre une procédure d’infraction. L’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal et la Belgique ont ainsi reçu une lettre de mise en demeure leur demandant de transposer au plus vite la directive dans son intégralité. Le Luxembourg, Malte, l’Autriche, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie, la Lettonie et Chypre ont, eux aussi, reçu un courrier avec les mêmes injonctions.
Lire : Les Echos du 6 novembre