Dans un entretien aux « Echos », le directeur général de l’Office national des forêts (ONF), Bertrand Munch, alerte sur les impacts du dérèglement climatique dans de nombreuses régions. Il explique pourquoi l’établissement doit revoir son dispositif de gestion. Le rythme de plantation s’accélère.
« La forêt française est en train de sécher ». Bertrand Munch, le directeur de l’Office national des forêts (ONF), n’y va pas par quatre chemins. Le réchauffement climatique y fait déjà des dégâts. « Nos forêts sont en crise », mais « c’est une tempête silencieuse », prévient-il. La prise de conscience est parcellaire. « Quand on pense aux questions forestières, on est imprégné par les problématiques qui touchent les forêts tropicales, comme la déforestation. Mais il se passe des choses à notre porte. A Rambouillet, à Fontainebleau ou à Lyons ».
La France est un pays boisé : la forêt couvre 30 % de l’Hexagone . Mais l’ONF pense qu’à l’échéance de moins d’une génération, un tiers de la forêt sera impacté par la hausse des températures. « Cela fait 10 % du territoire national sur lequel vous verrez d’ici dix à vingt ans les effets très concrets du réchauffement », alerte Bertrand Munch.
Insecte ravageur
Dans le Grand Est , les problèmes de dépérissement forestier sont bien réels. Dans la forêt domaniale de Verdun, une des plus étendues de France, c’est un paysage dévasté : les épicéas plantés après la guerre de 14-18 sur les champs de bataille sont morts sur pied, ravagés par un petit insecte, le scolyte, qui a proliféré sur des arbres affaiblis par la chaleur et les sécheresses répétées ces dernières années.
« Ce n’est pas uniquement un problème de choix d’essence, estime Bertrand Munch. Ces épicéas sont morts d’abord en raison du stress hydrique. Le manque d’eau a très fortement perturbé la production de sève ».
Résineux comme feuillus sont affectés. Le hêtre, qui aime l’humidité, est en train de reculer fortement alors que c’est une essence qu’on trouvait en abondance presque partout à l’exception de la zone méditerranéenne.
A certains endroits, le chêne disparaît également à cause de la sécheresse. « Le phénomène est moins visible car le chêne est souvent mélangé au hêtre. Mais c’est le cas, par exemple, dans la forêt de Tronçais, dans l’Allier où des chênes superbes, élevés depuis 200 ans et qui font un bois extraordinaire servant entre autres à faire des tonneaux pour les grands crus, sont touchés », décrit Bertrand Munch. « Les chênes français alimentent l’industrie de luxe », rappelle-t-il.
« La forêt ne s’arrose pas, donc elle souffre. Et nous sommes sur un phénomène qui va aller bien plus vite que l’adaptation naturelle que l’ONF a privilégiée en forêt », explique le dirigeant. Avec le réchauffement, l’Office, qui gère les forêts publiques – soit environ 25 % des forêts hexagonales -, doit revoir son dispositif de gestion.
« Forêts mosaïques »
« Nous étions sur des cycles d’aménagement de vingt ans qui définissaient les zones où l’on coupait, celles où l’on éclaircissait, où l’on plantait, où l’on régénérait. Aujourd’hui, par endroits, le taux d’arbres qui meurent est tel qu’il faut d’abord récolter les arbres secs avant d’exploiter les vivants. Nous passons en situation de crise », raconte Bertrand Munch.
Pour reconstituer les forêts , publiques comme privées, le gouvernement a mis 200 millions d’euros sur la table via son plan de relance. L’ONF va donc augmenter le rythme de ses plantations comme jamais : de 3 millions de plants sur 2.400 hectares par an, ses forestiers sont chargés de mettre en terre 10 millions de plants sur 15.000 hectares.
Le travail consiste aussi à favoriser des essences plus résistantes au dérèglement climatique et à les diversifier, notamment sur des petites parcelles : un concept de « forêts mosaïques » que l’ONF entend développer.
Lire : Les Echos du 14 février