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RDUE : tous d’accord pour protéger les forêts mais…

Courrier de la filière au Ministre de la Transition écologique Christophe Béchu

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Monsieur Christophe BECHU

Ministre de la Transition écologique

 

Paris, le 13 mars 2024

Objet : Révision du Règlement Déforestation de l’Union Européenne (RDUE)

Monsieur le Ministre,

Dans le cadre du pacte vert pour l’Europe, les institutions communautaires ont adopté un Règlement visant à lutter contre la déforestation et la dégradation forestière. La date d’application de ce texte est prévue pour le 30 décembre 2024 par les entreprises qui ne sont pas des PME et le 30 juin 2025 par les PME.

Ce Règlement repose sur un principe de stricte traçabilité. L’objectif est ainsi, à partir d’un produit mis sur le marché (meuble en bois, ouvrage de menuiserie, produit de construction, rouleau d’essuie-tout, livre, sac en papier, …) de « remonter » la chaîne de valeur afin de vérifier que le bois entrant dans la composition du bien a été produit selon la législation du pays et qu’il n’a contribué ni à la déforestation, ni à la dégradation forestière. Ce principe de vérification (diligence raisonnée) s’impose à chacun des maillons d’une chaîne de valeur.

Toutes les organisations professionnelles signataires de cette lettre soutiennent la mise en place d’un instrument juridique permettant de garantir que les produits bois et dérivés du bois sont sans impact sur la déforestation.

Toutefois, le principe de « stricte traçabilité » et les processus envisagés par le RDUE conduisent à de très nombreuses difficultés de mise en oeuvre et posent encore des questions d’interprétation.

Entre le 18 décembre 2023 et le 31 janvier 2024, la Commission européenne a pratiqué un test en grandeur réelle du Système d’Information où sont saisies les données permettant la traçabilité des produits. Parmi les 112 entreprises européennes ayant participé à ce test figurent plusieurs entreprises françaises de la filière forêt – bois – papier. Grâce aux enseignements de ces entreprises, il est possible de tirer les conclusions suivantes :

1) Le Système d’Information actuel ne permet pas de répondre aux exigences du Règlement créant un risque de pénalité pour les opérateurs. La mise en application d’une version améliorée de ce système, sans une nouvelle phase de test des nouvelles fonctionnalités, exposera les entreprises à travailler avec un outil sans doute encore largement perfectible. Nous attirons votre attention sur le fait que les entreprises ne pourront rendre compatibles leurs propres systèmes d’informations avec celui mis en place dans le cadre du RDUE que lorsque ce dernier aura été achevé.

2) Même lorsque le Système d’Information sera optimisé, son emploi restera complexe et hors de portée de nombreuses entreprises, tout particulièrement lorsqu’elles sont des TPE et PME ayant un usage réduit des outils numériques. Même pour les entreprises ayant des compétences numériques suffisantes, les protocoles de saisies et de manipulation des données seront chronophages.

3) Les modalités de transfert des données mettent en évidence une absence totale de confidentialité et présentent des risques sérieux en matière de droit commercial et de droit applicable aux données personnelles. Ainsi, la diffusion de données sensibles  (géolocalisation des parcelles, volumes des produits commercialisés …) signifie qu’une entreprise aura connaissance d’informations relatives aux fournisseurs de ses fournisseurs. De plus, en achetant un produit à une entreprise concurrente, il lui sera possible d’obtenir des informations sur ses fournisseurs.

4) La réalité des pratiques forestières est irréconciliable avec certaines des garanties qu’impose le Règlement. Ainsi, dans la mesure où un propriétaire forestier dispose de plusieurs années pour reboiser après une coupe, une éventuelle déforestation ne pourra se constater qu’au terme de ce délai légal de plusieurs années. Cette difficulté se pose dans les mêmes termes pour la dégradation forestière, avec de surcroît une difficulté de caractérisation de ce phénomène.

5) De très nombreuses questions cruciales demeurent sans réponse. Citons par exemple (i) la prise en compte des dates d’application différentes pour les PME et les non-PME (art. 38) ; (ii) les modalités de transferts de données entre entreprises (art. 4.7) ; (iii) les  modalités de transfert d’informations qui doivent être collectées, mais qui ne figurent pas dans une Déclaration de Diligence Raisonnée (Annexe II) ; (iv) les modalités de réalisation d’une diligence raisonnée par une entreprise dont un fournisseur est une PME qui n’aura pas elle-même réalisé une diligence raisonnée (art 4.8) ; (v) la latitude dont dispose une entreprise pour associer à une Déclaration de Diligence Raisonnée une multitude de produits, (vi) la désignation des autorités compétentes dans 11 pays de l’UE, etc.

6) La tierce partie chargée de procéder à évaluation des pays (art. 29) n’a pas encore été sélectionnée, de sorte qu’il est à craindre que les différents pays de l’UE soient considérés comme étant à risque « standard » au 30 décembre 2024. Cette classification interdira aux entreprises françaises de recourir à une diligence raisonnée simplifiée (art. 13).

Les 6 points résumés ci-dessus mettent en lumière l’extraordinaire complexité de ce texte, ses faiblesses juridiques ainsi que ses nombreuses incertitudes. A la lumière de ces points, le Règlement européen est inapplicable par les opérateurs et les commerçants.

Il est indispensable que les institutions communautaires s’emploient, en liaison avec les organisations professionnelles, à améliorer le RDUE, non pas pour en affaiblir l’ambition, que nous partageons, mais pour aboutir à un dispositif qui puisse être mis en oeuvre par toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, de manière efficace, simple et sans dégradation de leur compétitivité. Une voie d’amélioration pourrait ainsi être d’introduire des dispositions simples pour les pays dans lesquels ne sont constatées ni déforestation, ni dégradation forestière.

Nous avons conscience que les élections du mois de juin ne permettent pas, avant cette échéance une révision de ce règlement. De ce fait, il nous semble indispensable qu’une communication soit rapidement effectuée afin que la date d’application du 30 décembre 2024 soit reportée d’une durée qui laissera le temps nécessaire pour simplifier et éclaircir le texte.

La réunion consacrée au RDUE qu’organisera le 3 avril la présidence belge nous paraît être une occasion pour la France de formuler les points mentionnés ci-dessus.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre très haute considération.

Copie à :

Monsieur Marc FESNEAU, Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire

Monsieur Roland LESCURE, Ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Énergie

Pascal Lenoir

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