Dans un contexte de réorganisation du monde éditorial avec le rachat de Hachette Livres par Vivendi, les professionnels craignent que la publicité à la télévision « accélère la concentration du marché ».
La publicité télévisée pour les livres est désormais autorisée, mais les éditeurs sont contre, redoutant qu’elle ne nuise à la diversité de la littérature. Sauf l’un d’entre eux, qui s’est lancé sans attendre ses concurrents.
Cette autorisation, envisagée dans une consultation publique du ministère de la Culture en janvier et février, est venue par surprise d’un décret du Premier ministre, le 5 avril. Une semaine plus tard, dans le quotidien Les Echos, la ministre Rachida Dati défendait cette « expérimentation ». L’objectif, d’après elle, est « d’inciter les Français à franchir le seuil d’une librairie (…) pour acheter un best-seller et repartir avec trois autres livres sous le bras ».
« Les libraires ne croient pas trop à cet effet », commente le délégué général du Syndicat de la librairie française, Guillaume Husson, interrogé par l’AFP. « Si un lecteur découvre un best-seller grâce à une pub télévisée, il ne va acheter que celui-là. Et il restera ensuite un lecteur très occasionnel ». « Nous croyons beaucoup plus au risque pour la diversité éditoriale. Et nous le redisons au moment où le numéro un de l’édition, Hachette Livre, vient d’être racheté par Vivendi qui, non seulement, possède des chaînes de télévision, mais aussi un groupe de publicité, Havas », ajoute-t-il.
Choix « du marché libéral »
D’après Olivier Bessard-Banquy, professeur de littérature à l’université Bordeaux Montaigne, « le choix politique est clair : le gouvernement fait celui du marché libéral. On avait déjà vu, au début des années 2000, quand cette publicité a été autorisée sur les chaînes du câble, que seuls en bénéficiaient les titres très grand public des structures les plus puissantes ».
Le secteur de l’édition a été pris de court. « On est très surpris que ça soit arrivé comme ça, brutalement », a déclaré Antoine Gallimard, le patron de la plus prestigieuse des maisons d’édition françaises, sur France Inter. « On avait toujours dit qu’on était contre, tous les éditeurs, au nom de la diversité ». La direction d’Editis, numéro deux français de l’édition, y est aussi défavorable. Sur France Inter également, son président Denis Olivennes redoutait que la pub télé puisse « accélérer la concentration du marché sur ses plus gros vendeurs, au détriment de la diversité, parce que seuls les best-sellers peuvent supporter les coûts d’une publicité à la télévision ».
Editis est pourtant la maison mère des éditions XO, qui ont franchi le pas. Une semaine après le décret, elles lançaient leur spot sur BFMTV pour Les Effacées, roman policier de Bernard Minier.
« Esprit de corps »
XO, en marge du monde feutré des lettres, revendique sa vocation d’éditeur de best-sellers. Il a publié le seul ouvrage d’Emmanuel Macron, Révolution, en 2016. Et c’est avec entre autres des pubs à la radio et des vidéos sur YouTube, à défaut de diffusion sur le petit écran, qu’il a dopé la notoriété de Guillaume Musso, numéro un des ventes en France sans interruption de 2011 à 2022.
« Le fondateur de notre maison, Bernard Fixot, a inventé la publicité sur le livre à la radio. Il n’a cessé de militer pour ouvrir cette possibilité à l’un des plus puissants des médias : la télévision », ont affirmé dans un communiqué les deux dirigeants de cette maison, Édith et Renaud Leblond.
Le débat devrait se dénouer au sein de l’organisation professionnelle, le Syndicat national de l’édition. Interrogée par l’AFP lundi, celle-ci a répondu qu’elle ferait connaître sa position à une date encore non déterminée. « C’est un secteur conscient de sa relative fragilité économique par rapport à d’autres », remarque David Martens, professeur de littérature à l’université de Louvain (Belgique). « Donc il y a un certain esprit de corps. Quand il s’agit de parler de ces enjeux, il le fait d’une seule voix. »