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Prix du livre : le bras de fer se poursuit entre Amazon et les librairies

Le groupe américain est favorable à un tarif postal réduit pour la livraison de livres en France. Cette prise de position d’Amazon intervient alors que les derniers arbitrages vont être pris concernant une loi de décembre 2021 qui va instaurer un prix plancher de livraison du livre visant à réasseoir la loi Lang de 1981 qui avait instauré le prix unique. Les rivaux d’Amazon, des librairies indépendantes à FNAC Darty, restent sur le qui-vive.

Amazon revient à la charge sur le prix plancher de livraison du livre. Le géant de l’e-commerce se déclare favorable à un tarif postal réduit pour la livraison de livres en France. « Cette mesure rendrait inutile le tarif minimal envisagé », assure Frédéric Duval, directeur général d’Amazon France, qui fait valoir que le tarif postal applicable pour expédier un livre à un expatrié vivant à Londres est de 1,49 euro et de 2,60 euros vers New York ou Tokyo.

« Avec cette proposition, Amazon tente de contourner l’esprit de la nouvelle loi en voulant faire reposer une partie du coût de livraison sur La Poste et donc l’Etat. Mais ce n’est en rien la direction qui a été prise avec ce texte. D’ailleurs, les libraires demandent depuis des années à pouvoir bénéficier de l’offre Frequenceo de La Poste [plus avantageuse que Colissimo, NDLR], sans obtenir satisfaction », souligne la ​sénatrice Les Républicains (LR) Laure Darcos. Elle fait référence à la proposition de loi « visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs » qu’elle a portée et qui a été adoptée à l’unanimité par les deux chambres, puis promulguée en fin d’année dernière.

Celle-ci a pour objectif, en définissant un prix plancher de livraison du livre, de réasseoir la loi Lang de 1981 qui a instauré le prix unique du livre en France et que l’essor du commerce en ligne a rendue moins efficiente. ​« Il faut qu’il y ait un prix unique de tous les livres, le livre qu’on va acheter à la librairie comme le livre qu’on reçoit à la maison », avait appelé de ses voeux Emmanuel Macron en mai 2021. ​« Cette nouvelle déclaration d’Amazon est aussi une manière d’essayer d’amadouer les libraires et de casser le front uni face à lui (comprenant notamment FNAC Darty, Cultura, le Furet du Nord) dans ce dossier », avance Laure Darcos.

La question du pouvoir d’achat

Opposé à cette loi qui va potentiellement faire porter une partie du coût de l’envoi aux ménages, Amazon profite aussi du contexte actuel pour sortir de sa manche la carte du pouvoir d’achat. « Cela va faire grimper le prix du livre dans les territoires reculés où il n’y a pas de librairies physiques et où les lecteurs sont contraints de se faire livrer, expose Frédéric Duval. Nous sommes complémentaires des libraires puisque nous expédions 40 % de nos livres à des ménages vivant dans des communes où ils ne sont pas présents. »

« Ce serait une vision court-termiste que de prendre en compte cette logique. Le tissu de librairies est très nourri en France et il faut le préserver pour conserver la diversité de l’offre éditoriale. Amazon ne cherche là qu’à évincer des rivaux du marché », estime un expert de l’industrie. Cette sortie médiatique d’Amazon intervient alors que l’Arcep s’apprête à transmettre son avis consultatif sur le sujet du tarif minimum pour les frais d’envoi de livres aux ministères de l’Economie et de la Culture qui vont devoir s’entendre sur les modalités d’application, via la publication de l’arrêté du ou des tarif(s).

Ensuite, la loi entrera en vigueur dans un délai de six mois, auquel il faut ajouter la notification auprès de la Commission européenne qui devrait rallonger l’échéance de trois mois. En clair : s’il faudra attendre le printemps 2023 pour que la loi soit effective, il ne reste que peu de temps à Amazon et consorts pour tenter de peser sur les derniers arbitrages.

Le Syndicat de la librairie française pour un tarif minimal à 4,5 euros

Au moment de l’ouverture de sa consultation publique fin avril, l’Arcep avait fait savoir qu’elle partait sur l’idée de proposer un tarif minimum de 3 euros. L’autorité s’interrogeait aussi sur la possibilité de laisser aux acteurs du secteur la faculté de quasiment offrir les frais de port (0,01 centime d’euro) aux lecteurs à compter de 25 euros de commandes, instaurant par là même une simili-gratuité. Une proposition qui inquiète les rivaux du géant de Seattle.

Et pour cause. Tout le monde garde en tête le souvenir de la précédente loi dite « anti-Amazon » de 2014 . Celle-ci avait interdit la livraison gratuite de livres mais sans définir de grilles tarifaires. Résultat, Amazon facture depuis ce service à… 0,01 euro.

« Le principe du centime d’euro, à compter d’un certain niveau de commandes, peut permettre à Amazon de continuer à contourner l’esprit de la loi sur le prix unique du livre », redoute Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF), dont les adhérents pèsent près d’un tiers du chiffre d’affaires national des librairies indépendantes. Le SLF se prononce aussi pour un tarif minimal plus élevé, à 4,5 euros. « Le coût moyen d’une expédition revient aujourd’hui à plus de 7 euros pour nos adhérents », précise Guillaume Husson.

Un front pas totalement à l’unisson

Reste que la ligne de front face à Amazon n’est pas totalement à l’unisson. « La proposition à 3 euros nous semblerait équilibrée car cela permettrait de réinstaurer des conditions de marchés plus équitables pour tous les acteurs, et sans que le tarif soit trop prohibitif pour le lecteur au final, détaille FNAC Darty, dont les coûts de livraison sont plus facilement amortissables étant donné la taille et le niveau d’activité du groupe. Nous demeurons aussi opposés au seuil de gratuité. Si cette option était retenue, ledit seuil devrait être significativement relevé. »

Même son de cloche du côté du Syndicat des distributeurs de loisirs culturels, regroupant notamment les enseignes Cultura et Le Furet du Nord. « Nous pouvons nous accommoder du prix à 3 euros, déclare Jean-Luc Treutenaere, président du syndicat. Concernant la zone de quasi-gratuité, on souhaite la porter à un seuil de 40 ou 50 euros. A 25 euros, nous travaillons à perte. »

« Instaurer un seuil à 50 euros permettrait de couvrir plus de 90 % des livraisons de livres effectuées en France et la simili-gratuité ne concernerait donc qu’une infime partie des commandes, ce qui éviterait de rendre la loi caduque », note un bon connaisseur du secteur. Ce que veut avant tout éviter le camp anti-Amazon.

 

Lire : Les Echos du 13 juillet

 

Jean-Philippe Behr

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