Le groupe de presse magazine, filiale de Vivendi, lance PassPresse, sa propre plateforme de distribution en ligne ouverte aux autres éditeurs. Après plusieurs lancements et rachats de magazines, c’est une nouvelle offensive dans un secteur frappé par l’érosion du papier.
Dans un marché de la presse confronté à l’érosion du papier et à l’inflation des coûts, c’est aux chefs de file d’aller de l’avant. Multipliant les initiatives, Prisma Media s’attaque à un chantier de taille. Le leader historique des magazines unit ses forces avec Canal+, également dans la galaxie Vivendi, pour lancer de toutes pièces un nouveau kiosque en ligne.
« Nous passons du rôle d’éditeur à celui de distributeur de la presse. En coopération avec Canal+, nous avons construit une plateforme ouverte, confie aux « Echos » Claire Léost, présidente de Prisma Media. L’envie est d’éviter les intermédiaires, qui parfois agissent comme des boîtes noires vis-à-vis des éditeurs. Il est indispensable de mieux maîtriser la data des abonnés (téléchargements, articles consultés, etc.) pour, au bout du compte, garantir un meilleur partage de la valeur aux éditeurs que nous sommes et à ceux qui veulent participer. »
Baptisé PassPresse, ce nouveau kiosque numérique est déjà disponible en ligne pour 9,99 euros par mois. Dès mardi, il sera aussi sur MyCanal, pour tous les abonnés de la chaîne cryptée. En plus de tous les titres Prisma (« Voici », « Télé Loisirs », « GEO », « Femme Actuelle », etc.), il propose déjà plus d’une centaine de publications d’autres éditeurs comme « Le Point », « Society » ou « Nice-Matin ». Des discussions sont en cours avec plusieurs grands acteurs de la presse quotidienne nationale.
Répondre aux problèmes de distribution
Ce lancement répond à plusieurs objectifs. En plus de créer une nouvelle source de données et de revenus, c’est aussi un levier pour fidéliser les abonnés de Canal+, ainsi qu’une réponse aux problèmes de distribution de la presse, qui souffre des difficultés du portage et des fermetures des points de vente physiques.
En parallèle, chez Prisma, l’accélération du modèle payant en ligne se fera aussi avec la montée en puissance de paywalls dédiés aux marques les plus à même d’attirer des abonnés, par leurs contenus à valeur ajoutée, comme « Capital ». Prisma a reconstitué la rédaction, décimée après le plan de départ volontaire l’an passé, et continue de l’étoffer en vue d’un passage à une périodicité hebdomadaire courant 2024. Les audiences numériques du mensuel progressent, mais sa diffusion a plongé de plus d’un tiers par rapport à 2019.De fait, avec une diffusion à -3,8 % sur un an en 2022-2023, selon l’ACPM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias), l’ensemble de la presse est sous pression, particulièrement la famille des magazines (-5 %), encore trop dépendante des ventes papier. La publicité numérique avait beaucoup porté la croissance des revenus de Prisma ces dernières années, grâce aux fortes audiences de ces marques (42 millions de visiteurs mensuels uniques au total). Mais ce marché ralentit, et certains connaisseurs doutent que Prisma puisse jouer sur des effets d’échelle suffisants pour faire le poids face aux Gafam.
Lancements et acquisitions
Face aux vents contraires, Prisma reste à la manoeuvre. « C’est un groupe qui a grandi, qui est plus diversifié et qui démontre sa capacité d’intégrer des marques, d’en développer, d’en lancer des nouvelles », affirme Claire Léost. Une politique qui va se poursuivre car les marques intégrées « bénéficient de tout l’écosystème de Prisma Media ; nous voulons leur apporter tout notre savoir-faire sur le digital sans pour autant les étouffer », assure-t-elle.
Au total, les revenus de Prisma devraient rester stables ou en hausse en 2023, hors effets exceptionnels (arriérés versés l’an dernier par Google pour compte de droits voisins). Pour 2024 et à plus moyen terme, l’objectif est de continuer à faire croître le chiffre d’affaires tout en maintenant une rentabilité (Ebitda sur revenus) supérieure à 10 %.
Depuis l’arrivée de Claire Léost à la tête de Prisma il y a deux ans, le groupe a lancé ou repris plusieurs titres ( « Harper’s Bazaar », « Mortelle Adèle », « Les Clés de mon énergie », « Dr. Good ») réalisant des percées dans le luxe, la jeunesse, la santé et le développement personnel. Pour se renforcer, Prisma procède aussi à des acquisitions, notamment « Télé Z » en 2021 et cette année « Milk », « Côté Maison » et les sites d’information thématique de M6, trois deals dont le bouclage est prévu dans les prochaines semaines.
Vers l’international
Ces opérations permettent aussi de compenser les effets de la vente de « Gala », exigée par la Commission européenne alors que Vivendi s’apprête à mettre la main sur Lagardère. Dans ce contexte, y aura-t-il des synergies ou rapprochements entre Prisma et les journaux du groupe Lagardère (« Paris Match » et le « JDD ») ? « Pour l’instant, ce n’est pas du tout à l’ordre du jour, tranche Claire Léost. Tout le monde est vraiment concentré sur l’objectif de réaliser l’opération. »
Quoi qu’il en soit, la filiale de Vivendi veut aussi développer le chiffre d’affaires provenant de contenus de recommandation (bancs d’essai de produits, « content-to-commerce », etc.). Mais si les acquisitions et les lancements restent d’actualité, notamment sur le luxe, faire croître la part de marché en France devient plus difficile pour Prisma, avec sa position de leader. Le groupe lorgne aussi l’international, avec potentiellement des cibles dans des pays européens proches, comme le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne.
Les cartes en voie d’être rebattues sur le marché des kiosques numériques
Confronté à un nouveau rival lancé par Prisma Media, le français Cafeyn ne sera plus distribué par Canal+. Il mise sur la reprise annoncée, mais toujours pas finalisée, des activités non scandinaves de son concurrent suédois Readly pour atteindre une taille critique.
En France, le marché des kiosques numériques se partageait jusqu’ici entre le français Cafeyn et le suédois Readly, qui a repris Toutabo et son service ePresse en 2021. Mais le paysage risque de changer profondément.
Un nouvel entrant, Prisma Media, vient de lancer son service, PassPresse, pour 9,99 euros par mois. Pour convaincre les éditeurs, le service proposerait, selon nos informations, un modèle de partage de la valeur avantageux, avec environ 75 % des revenus reversés, au-delà des standards du secteur.
Il s’arroge aussi d’emblée une place occupée auparavant par un rival. La plateforme de cette filiale de Vivendi sera ainsi distribuée par une autre antenne du groupe contrôlé par la famille Bolloré, Canal+. Dès mardi, PassPresse sera accessible à tous les abonnés de la chaîne cryptée, par le biais de MyCanal ou de l’application et du site dédiés.
Ces derniers perdront en revanche l’accès à Cafeyn à partir de ce lundi. « Nous continuons à être présents dans nos autres canaux de distribution, rassure Ari Assuied, fondateur et PDG de Cafeyn. Notre offre est la plus large du marché, elle rencontrait un franc succès auprès des utilisateurs de Canal+, qui pourront décider par eux-mêmes de venir s’abonner à notre service. » Créé en 2006, Cafeyn est notamment distribué par les opérateurs télécoms Bouygues Telecom, SFR et Free.
Rapprochement en cours
Même si certains grands médias, comme « L’Equipe », l’ont quittée l’an passé, la plateforme compte environ 2.500 titres de presse quotidienne nationale, régionale et surtout magazine, pour 10,99 euros mensuels. En moyenne, un nouveau titre entre au catalogue chaque semaine, précise Cafeyn.
Profitable et forte de 3 millions d’utilisateurs actifs, partenariats inclus, l’entreprise voit arriver ce nouveau concurrent alors qu’elle est toujours en voie d’absorber les activités de son plus ancien et principal rival, Readly, sur tous les marchés non scandinaves (dont la France).
Cette opération pourrait concerner environ trois quarts des activités du groupe suédois, qui se définit comme le « leader européen des magazines en ligne », avec 7.500 titres, plus de 450.000 abonnés et un chiffre d’affaires de près de 50 millions d’euros en 2022, tous marchés confondus.
En décembre 2022, Cafeyn a signé un partenariat stratégique avec le conglomérat suédois des médias Bonnier News, auteur d’une OPA sur Readly, une société cotée au Nasdaq de Stockholm. L’accord prévoit, pour un montant confidentiel, la reprise par Cafeyn des activités non scandinaves de Readly après l’OPA, qui a été finalisée fin mars.
Taille critique
Depuis, les discussions entre Cafeyn et Bonnier se poursuivent. « C’est une opération complexe, qui prend nécessairement du temps, mais nous travaillons main dans la main avec le groupe Bonnier pour la finaliser dans les meilleures conditions et le plus rapidement possible », indique Ari Assuied.
Dans l’attente de ce rapprochement, Readly continue à tracer sa route. « La France est notre quatrième marché et nous continuons à y voir un potentiel intéressant étant donné la taille du marché et le fait que nous soyons le leader européen de la catégorie », indique son PDG, Philip Lindqvist, qui refuse de commenter le rachat en cours. Le catalogue s’étoffe, avec l’ajout cet été de 69 titres de Reworld Media, pour un total de 642 magazines français et 96 journaux, éditions locales comprises.
Le groupe Readly, qui se dit « sur la voie de la rentabilité », a affiché au deuxième trimestre une forte progression de son chiffre d’affaires (+16 % par rapport à la même période l’an passé) et de son revenu par usager (+18 %), grâce à des hausses de prix. Pour Cafeyn et Readly, un rapprochement serait l’occasion d’atteindre une taille critique, afin d’offrir un choix de titres plus large au consommateur et d’être mieux en mesure de rivaliser, dans la guerre de l’attention, avec des géants du streaming comme Netflix ou Spotify.
Lire : Les Echos du 15 septembre