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Presse : le parlement vote le droit voisin

Le Parlement adopte définitivement l’instauration d’un « droit voisin » pour les éditeurs et agences de presse

 

La France est le premier pays à transposer l’article de la directive européenne sur le droit d’auteur.

 

La France est le premier pays à transposer le « droit voisin » instauré par la directive européenne sur le droit d’auteur adoptée le 26 mars : mardi 23 juillet, les députés ont voté, par 81 voix contre une, la proposition de loi donnant à la presse le droit de négocier avec les plates-formes comme Google, Facebook ou Twitter une rémunération pour l’utilisation d’extraits d’articles et de vidéos. « C’est un record de vitesse », se félicite Pierre Louette, PDG du groupe Les Echos-Le Parisien et animateur d’un groupe de travail sur le droit voisin au sein de l’Alliance de la presse d’information générale.

 

Ce regroupement d’éditeurs a commandé au cabinet EY-Parthenon une étude qui avance une première estimation de la « perte de revenus » due à la domination du marché publicitaire par Google et Facebook : entre 250 et 320 millions d’euros par an, soit « entre 9 % et 12 % des revenus publicitaires des moteurs de recherche et réseaux sociaux », estimés à 2,7 milliards d’euros en 2017. Le droit voisin devrait les « compenser ». Mais malgré ces calculs, la négociation s’annonce rude.

 

« La suite va dépendre de l’unité de la presse. Les éditeurs ont le rapport de force grâce à la loi. La deuxième manche se joue », explique le sénateur socialiste David Assouline, auteur de la proposition de loi, déposée en septembre 2018. « Il faudrait un premier round de négociation avant la fin de l’été. Cela montrerait que la presse a été capable de s’organiser et que les géants du numérique ont compris que la presse est importante pour la démocratie », ajoute le député MoDem Patrick Mignola, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale.

Eviter une course aux clics

 

Malgré les appels à l’unité, des accrocs ont déjà eu lieu entre éditeurs. En effet, des amendements ont précisé que la répartition de la rémunération prendra en compte les « investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse », ainsi que leur « contribution à l’information politique et générale ». L’idée est de ne pas rémunérer les titres uniquement en fonction de l’audience de leurs extraits d’articles sur Google Actualités ou Facebook, afin d’éviter une course aux clics et de favoriser la presse de qualité. Mais ce changement a suscité « l’inquiétude de voir la presse spécialisée ou la presse magazine exclue du droit voisin », a reconnu le ministre de la culture, Franck Riester, au Sénat, avant de préciser : « Nul éditeur ne sera exclu de ce droit, car les critères mentionnés dans le texte ne peuvent être cumulatifs ou exhaustifs. »

 

Le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) n’est pas aujourd’hui dans l’Alliance. Cette structure a été créée en 2018 par les syndicats de la presse quotidienne nationale (Le Monde en fait partie) et régionale ainsi que des hebdomadaires régionaux, pour négocier avec les grandes plates-formes et l’Etat.

 

Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil, dont sont membres Mediapart, Contexte, Les Jours ou Arrêt sur Images) craint, lui, que « la négociation soit favorable aux grands éditeurs », explique son président Jean-Christophe Boulanger, qui a toujours eu des réticences sur un texte susceptible « d’accroître la dépendance des médias aux plates-formes ». « J’ai proposé à l’Alliance de discuter d’une société de gestion des droits d’auteur, pour avoir une approche commune, je n’ai pas eu de retour », déplore-t-il. C’est un autre point que les éditeurs devront régler : quelle société de collecte des droits d’auteur choisir, entre la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), la Société civile des auteurs multimedia (SCAM), la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) ?

« Un rapport de force différent »

 

« On va entrer dans le dur : choix de la société de gestion, assiette et modalités de rémunération, tactique de négociation avec les plates-formes, dont on peut être certain qu’elles ont bien analysé le dispositif et vont batailler… », résume Fabrice Fries, président de l’AFP.

 

Contactés, Google et Facebook ne commentent pas. Mais l’Association des services Internet communautaires (ASIC), dont ils sont membres, ne cache pas ses critiques : « C’est une usine à gaz. Cela profitera aux éditeurs les plus gros. Nous regrettons aussi le flou sur la définition des extraits concernés, explique son président Giuseppe de Martino, soulevant aussi la question des reprises de dépêches AFP par des médias. S’il y a trop de zones grises, le risque sera de tout supprimer. »

 

Tous se rappellent que les lois votées avant la directive pour instaurer un droit voisin n’avaient pas permis de négocier une rémunération : en Espagne, Google avait préféré fermer Google Actualités et, en Allemagne, l’entreprise avait obligé les éditeurs à accorder une licence gratuite s’ils voulaient figurer dans ce service. « La directive votée au niveau européen instaure un rapport de force différent » et une négociation plus collective, croit M. Assouline. Quand ils auront fini leur négociation avec les plates-formes, les éditeurs devront encore en mener une dernière, cette fois avec leurs journalistes, qui doivent, selon la loi, toucher une partie de la rémunération.

 

Lire : Le Monde du 23 juillet

 

Jean-Philippe Behr

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