Après les tickets de caisse ou le prospectus, voilà un nouvel usage du papier ciblé par le législateur français ou européen. La notice de médicament fait l’objet d’un projet de directive européenne et d’une expérimentation (oui, une autre), en France. Où l’environnement et les attentes du citoyen, à nouveau, sont ignorés… ou pour le moins mises de côté.
Ainsi, Emballages magazine nous fait savoir qu’un article de la proposition de directive aux produits de santé de la Commission Européenne envisage la possibilité pour un Etat Membre que la notice soit mise à disposition sous forme électronique. Le texte prévoit certes que le droit du patient à une copie imprimée et gratuite de la notice soit garanti. Mais cela sera sur demande… Les spécialistes des nudges ne nous contrediront pas, cette contrainte imposée à l’utilisateur est le meilleur moyen pour que cela ne se réalise pas… pour autant qu’il sache qu’il en a la possibilité.
En France, ce sujet prend la forme d’une expérimentation, qui verra progressivement les notices supprimées, à l’hôpital – ce que l’on peut se comprendre étant donné le mode de délivrance du médicament – mais aussi en ville. Pendant une durée minimale de deux ans, certains produits se verront apposer un QR code en complément de la notice, laquelle sera progressivement supprimée. Ce test initié par les pouvoirs publics sera évalué au moyen d’enquêtes menées auprès des patients sur le rôle et l’utilité de la notice papier dès le lancement de la phase pilote. A mi-parcours, les données qualitatives et quantitatives recueillies seront examinées, et une discussion avec les parties prenantes sera menée « pour évaluer le dispositif et la possibilité de suppression complète de certaines notices papier en ville ».
Comme pour d’autres cas concernant l’usage du papier, il est frappant qu’à nouveau, au prétexte d’une expérimentation, la charrue soit mise avant les bœufs. Le prérequis de cette expérimentation serait de questionner l’usage et l’utilité de ces notices, qui, nous suggère-t-on entre les lignes, sont trop peu utilisées pour être mises systématiquement dans chaque boîte.
Mais pour s’en assurer, pourquoi ne pas faire l’enquête nécessaire avant de lancer cette expérimentation ? Elle permettrait de mieux connaître la fréquence d’usage, et surtout le profil des utilisateurs. Par la force des choses, les personnes âgées sont plus consommatrices de médicaments, et peuvent s’inquiéter de la compatibilité de différents traitements : seront-ils à l’aise avec un QR code à utiliser via leur smartphone pour accéder à un site web qui leur demandera leur consentement pour utiliser leurs données personnelles ? Est-il besoin de se lancer dans une expérimentation qui actera de fait les changements pour avoir ces réponses ?
Outre ces enjeux sociétaux, se posent des questions environnementales. L’économie de papier est mise en avant, sans que, à nouveau, le coût écologique du numérique soit questionné. On nous parle d’une notice dématérialisée… est-ce à dire sans ordinateur, serveurs, réseaux, énergie ? Entre une notice ou site internet qui auraient le même usage (car on ne voit pas comment une notice papier jugée inutile deviendrait subitement indispensable dans sa version numérique…), que coûte à la planète de stocker et rendre accessible en permanence ces informations ? Ce sujet est à peine abordé, sous un angle biaisé, et ici aussi il pourrait faire l’objet de modélisations préalables… Les études existent montant déjà que le papier, selon les usages, est écologiquement préférable au numérique.
Ces changements du quotidien sont d’autant plus inquiétants que, sous couvert d’une expérimentation, ils entraînent des changements qui ne seront pas remis en question. Surtout, ils modifient radicalement la place du papier dans les comparaisons environnementales : alors que le numérique était, pendant des années, un complément facultatif, la situation s’inverse : aujourd’hui, quoi qu’il arrive, les données sont stockées, les comptes clients sont créés, et demander un document papier devient l’option facultative. Ce changement radical impactant notre quotidien mériterait un véritable débat de société, avant que les circonstances ne nous en rappellent les enjeux.
Lire : Two Sides du 17 janvier