Le philosophe Olivier Rey, chercheur au CNRS, prône un équilibre entre la course technologique des nations et une société plus conviviale, donc moins connectée.
Objet d’un vif débat de société, la 5G cristallise l’opposition déjà ancienne entre les partisans d’un progrès technologique débridé et ceux qu’un accroissement exponentiel de notre puissance numérique inquiète. Pour gagner du temps, de nombreux indécis appellent à un moratoire, en attendant le rapport que rendra l’Anses au printemps 2021. Mais, pour le philosophe Olivier Rey, le débat est en réalité miné par de fausses promesses et des postures hypocrites de part et d’autre. Ceux qui affectent la prudence ne pourfendent la 5G que pour mieux encenser la génération précédente (4G), tandis qu’en face, l’alternative est caricaturée: c’est ça… ou le retour de la lampe à huile. Il faudrait cependant être bien naïf, estime-t-il, pour juger que le paradigme technologiste ne bouleversera pas en profondeur notre rapport au monde. Ainsi propose-t-il une troisième voie, médiane: celle d’un délicat équilibre entre la course technologique nécessaire aux nations pour conserver leur puissance et protéger leurs citoyens, et la demande légitime d’une société plus conviviale, donc moins connectée, où se réfugieront ceux que cette course effrénée épuise.
LE FIGARO. – La 5G est au cœur d’un débat de société virulent. Elle suscite le soutien résolu de nombreux acteurs économiques, mais aussi les craintes d’une frange importante de l’opinion. Au-delà des inquiétudes sur la santé, se dessine le refus d’une fuite en avant technologique effrénée. Alors, faut-il avoir peur de la 5G? Et est-il bien raisonnable de vouloir «arrêter le progrès»?
Olivier REY. – L’âge d’or que les Anciens plaçaient dans le passé, les Modernes l’ont situé dans l’avenir, et ils ont beaucoup compté sur le progrès scientifique et technique pour l’atteindre. Mais l’ambiance générale, aujourd’hui, s’est assombrie: l’emprise technologique croissante sur le monde est désormais, de façon générale, moins perçue comme promesse de salut que comme menace sur le devenir de la terre et de ses habitants. L’état critique de la situation est reconnu par les champions même du progressisme: Emmanuel Macron ne dit pas que la 5G améliorera nos vies, il dit qu’elle est nécessaire pour relever les «défis que nous avons sur tous les secteurs», indispensable pour affronter «la complexité des problèmes contemporains». Autrement dit, seules la poursuite et l’accélération de l’innovation technologique («on doit aller plus loin plus fort») peuvent nous permettre de surmonter les difficultés que deux siècles d’innovation technologique nous ont léguées. La 5G est l’un des sujets autour desquels le débat, entre les partisans de l’innovation à outrance et ceux qui estiment que cette fuite en avant est mortifère, est susceptible de se cristalliser…