L’Alliance Digitale, l’Udecam, le Geste, le SRI, l’Union des Marques et l’Apig ont écrit à Tim Cook. Ils craignent l’arrivée d’un bloqueur de publicités sur les iPhone. La démarche leur rappelle un mauvais souvenir.
L’ambition d’Apple d’« effacer » une partie du Web sur les iPhone, les Mac et les iPad de ses clients fait bondir les éditeurs de presse et les professionnels du marketing. A une dizaine de jours d’une conférence où l’entreprise californienne doit présenter de nouvelles fonctionnalités pour son navigateur Web Safari, l’inquiétude est grande.
Unis, les représentants de la quasi-totalité de l’écosystème français des médias et de la publicité en ligne viennent de se fendre d’une lettre à Tim Cook, le patron d’Apple. L’Alliance Digitale, l’Udecam, le Geste, le SRI, l’Union des Marques et l’Apig sont signataires. Dans ce courrier lu par « Les Echos », ils s’offusquent de tests menés par la marque à la pomme et récemment dévoilés par la presse spécialisée.
Un masque Apple sur les publicités ?
Capture d’écran à l’appui, les journalistes d’Apple Insider assuraient début mai que les ingénieurs d’Apple expérimentaient une prochaine version de Safari dans laquelle l’internaute pourra décider de masquer certaines parties d’une page Web, par exemple les publicités ou les images. Une fois pris en compte, ce filtrage s’appliquerait par défaut pour les prochaines consultations de la page, sauf si l’utilisateur revient sur son choix.
Contacté, Apple ne commente pas la rumeur mais pour les spécialistes de la marque à la pomme, le groupe chercherait ainsi à protéger la vie privée de ses clients, alors que la publicité en ligne s’appuie grandement sur l’analyse de données personnelles. Or les professionnels français du Web n’ont pas du tout la même interprétation, tout comme des groupes de médias britanniques, eux aussi très critiques de ce projet.
Le mauvais souvenir des publicitaires
« Il est évident que cette fonctionnalité revient à intégrer par défaut un ‘ad blocker’ dans le navigateur Safari afin d’y bloquer toute publicité pour une durée indéterminée », relèvent-ils dans leur lettre au patron d’Apple. Pour eux, ce scénario relève du cauchemar. En Europe, plus de 80 % des revenus tirés du numérique par la presse dépendent de la publicité. Près de « 9.000 sociétés et 100.000 professionnels » vivent tout ou partie de la publicité en ligne, plaident-ils.
Utilisé par 26 % des internautes mobiles français, Safari ainsi remodelé viendrait probablement entailler les revenus du secteur. Certes, beaucoup dépendra de l’adoption en particulier de cette nouvelle fonctionnalité. Mais les publicitaires ont un mauvais souvenir en tête. En 2021, quand Apple a imposé aux éditeurs d’applications de demander le consentement des internautes avant d’afficher de la publicité ciblée, le manque à gagner s’est chiffré, à l’échelle mondiale, en milliards de dollars.
Un modèle économique fragilisé
Les médias et la publicité en ligne sont par ailleurs confrontés à d’autres difficultés. Hors de l’écosystème Apple, le secteur doit se préparer aux velléités de Google de supprimer les cookies tiers sur son navigateur, ces fameux fichiers qui servent à augmenter la performance des publicités et donc leurs prix. Par ailleurs, une récente décision des CNIL européennes, empêchant Facebook ou Instagram de facturer leurs services aux utilisateurs refusant les cookies, inquiète les médias. Certains sites en ligne craignent d’être logés à la même enseigne.
« Une telle fragilisation du modèle économique des médias pose des questions d’accès à une information diverse et de qualité et a des conséquences sur le pluralisme et la vitalité démocratique », souligne Pierre Devoize, le directeur général adjoint de l’Alliance Digitale, l’association des professionnels du marketing. Tout en appelant Apple à la discussion, les professionnels français rappellent que certains d’entre eux ont déjà porté ce type d’affaires en justice.