Alors que la Foire de Francfort ouvre ses portes jeudi, le monde du livre accueille de nouveaux acteurs dans son écosystème. Le bon livre papier a su s’adapter mais en devenant de plus en plus dépendant de l’entertainment, de la téléphonie, de plates-formes de SVOD ou encore des enceintes connectées… Le prix de la survie.
Il y a dix ans, le sort des livres et des librairies paraissait scellé, les dirigeant de manière assez inexorable vers le cimetière. Accessible grâce aux liseuses de plus en plus perfectionnées et à la multiplication des écrans, le livre électronique allait déferler sur le marché. Dès leur sortie, les livres seraient numérisés et commercialisés à des prix imbattables, rayant de la carte les librairies. Et Amazon régnerait en maître absolu sur ce nouvel univers.
Sauf que l’histoire ne s’est pas déroulée comme escompté. Symboles de « l’ancien monde », les librairies connaissent des épisodes de « revival » inattendus. Inversement, l’e-book, qui plongeait éditeurs, libraires et auteurs dans les plus noirs cauchemars, n’a pas vraiment tenu ses promesses. En France, sa part de marché ne dépasse pas 5 %. Du fait de la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre, ainsi que de la loi de 2011, encadrant étroitement le livre numérique, lequel ne peut être vendu qu’entre 25 et 30 % de moins que le bon vieux livre papier.
Et même dans les pays anglo-saxons, le livre numérique a des soucis à se faire. En 2013, la part de marché de l’e-book a grimpé ainsi jusqu’à 21,4 % aux Etats-Unis… Avant d’entamer un lent affaissement, de 20 % en 2014 à 13 % en 2018. Sans connaître cette décroissance en accéléré, le marché du livre numérique a reculé de 19 % au Royaume-Uni entre 2014 et 2018, à 251 millions de livres sterling.
Des librairies « espaces de vie »
Que s’est-il passé ? Le marché traditionnel a fait de la résistance. Ne pouvant plus se contenter d’être de simples espaces de vente et de stockage, les librairies se réinventent en « espaces de vie », où l’on vient prendre un café… et finalement acheter un livre. Certaines ont été plus loin, mettant à disposition des consommateurs du personnel pour les aider à remplir leur déclaration de revenus, préparer à un entretien d’embauche. « En France, c’est plutôt à un rebond des librairies comme commerce de proximité que l’on assiste, avec, parfois, des offres de séances de yoga, de méditation… De manière générale, la librairie est de plus en plus souvent associée au lien social… », analyse Pierre Dutilleul, président du Syndicat national de l’édition (SNE). Et la progression du chiffre d’affaires (+ 15,7 % sur août 2019) prouve que ça marche.
D’autres écritures pour les livres
Pour autant, difficile de s’y tromper : la survie du secteur de l’édition – le chiffre d’affaires en France a baissé de 4,38 % en 2018 -, cette survie-là a un prix. Editeurs, auteurs, distributeurs… tous continuent de coexister au prix d’une « hybridation » de leur business model. Le secteur de l’édition dépend de plus en plus d’acteurs issus d’univers très divers : entertainment, téléphonie, chaînes payantes, enceintes connectées, plates-formes de SVOD, fabricants de produits dérivés.
Les éditeurs de livres audio, de plus en souvent consommés par smartphone, n’hésitent plus à s’inspirer des pratiques ayant révolutionné l’univers de la téléphonie, de la musique, de la télévision. Leur botte de Nevers ? Leur formule d’abonnement mensuel, l’audiobook n’ayant aucun statut juridique et n’étant donc pas soumis à la loi Lang. Depuis avril 2019, les abonnés de Canal+ ont ainsi accès gratuitement à un livre audio par mois, parmi les 200 titres offerts par la collection Lizzie lancée par Editis (Vivendi), via l’offre MyCanal (Vivendi aussi). De leur côté, la Fnac et sa liseuse Kobo ont noué un partenariat avec Orange pour que les consommateurs puissent accéder à plus de 100.000 « livres à écouter » sur liseuse et sur smartphone… via une offre de 9,99 euros. Les autres opérateurs télécoms, à l’image de SFR, suivent le mouvement. Ce que n’a pu obtenir le livre numérique, le livre audio français, dont les ventes ont grimpé de 20 % en 2018, est en train de l’obtenir.
D’autres modes d’écriture voient aussi le jour. Lors du Digital Book World 2019 organisé le 9 septembre à Nashville, un atelier était organisé à destination des auteurs « pour tirer parti des plates-formes vocales, telles qu’Alexa, Amazon, afin de toucher de nouveaux publics ». Les stratégies d’écriture de conversations basées sur une communication interactive entre le conteur et l’auditeur étaient largement abordées.
De même sait-on que la meilleure garantie actuelle pour vendre les droits d’un titre à la Foire du livre de Francfort, est de préciser que Netflix s’y est intéressé dans le cadre d’un projet de série. Dans « Livres Hebdo », Maÿlis Vauterin, directrice des droits étrangers, audiovisuels et annexes chez Stock, admettait en novembre 2018 : « C’est vrai, cela change notre façon de lire les livres. Un titre qui ferait un bon long-métrage ne trouve plus preneur, contrairement à un livre qui possède les bons critères pour le petit écran, à savoir un univers singulier et des caractères forts. » Une métamorphose du secteur qui n’en est qu’à ses débuts.
Lire : Les Echos du 15 octobre