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Les ravages de la lecture numérique

Adieu la lecture longue et approfondie, critique et consciente, source d’empathie et de réflexion sur la complexité du monde

Tout moine qui se consacrait encore à la calligraphie après 1492 [soit une quarantaine d’années après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1454, ndt] avait probablement le sentiment de travailler sur un support obsolète. J’écris des textes de plus de 30 mots et je ressens la même chose.

La lecture numérique semble détruire les habitudes de “lecture approfondie”. Un nombre impressionnant de diplômés de l’enseignement supérieur sont en fait illettrés. Certes, les nostalgiques se plaignent des nouveaux médias depuis 1492, mais les récriminations d’aujourd’hui sont fondées sur des preuves. Pour citer le Manifeste de Ljubljana sur la lecture, signé ce mois-ci par des associations d’éditeurs et de bibliothécaires, des universitaires, PEN International et d’autres : “le monde numérique a beau favoriser la lecture plus que jamais dans l’histoire, il offre en même temps de nombreuses tentations de lire de manière superficielle et dispersée – ou même de ne pas lire du tout. Cela met de plus en plus en péril la lecture de haut niveau”.

La lecture, voie d’accès à l’empathie et à la complexité

C’est inquiétant, car la “lecture de haut niveau” a été essentielle à la civilisation. Elle a permis l’avènement des Lumières, de la démocratie et d’une plus grande empathie à travers le monde pour ceux qui ne sont pas comme nous. Comment allons-nous nous en passer ?

Rétrospectivement, le règne de la lecture en tant qu’activité de masse a été bref. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1700 que les textes longs ont pénétré au-delà d’une petite élite des pays riches. Le psychologue Steven Pinker affirme dans ‘La Part d’ange en nous’ [‘The Better Angels of Our Nature’, 2011, publié en français par Les Arènes en 2017, ndt] que les lecteurs ont appris l’empathie en s’immergeant dans l’esprit d’autrui. Il estime que “l’essor de l’écriture et de l’alphabétisation” a déclenché la “révolution humanitaire”, c’est-à-dire la diffusion des droits de l’homme tels que les ont gravés dans le marbre la Déclaration d’indépendance américaine de 1776 et la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce progrès a contribué à inspirer la lutte constante contre l’esclavage, la torture, les bûchers de sorcières et la superstition. Aujourd’hui, 87 % des adultes dans le monde sont alphabétisés, selon l’Unesco…

Lire la suite : Le Nouvel Économiste du 9/11/23

Pascal Lenoir

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