Le marché de l’imprimé a dégringolé de 25 % en volume en 2023, sous l’effet de la hausse du prix du papier notamment. Les petits imprimeurs bataillent pour résister aux vents contraires.
« La bataille perdue du papier » constitue sa « plus grande crainte ». Alain Escourbiac est imprimeur de père en fils. Nommée trois fois Meilleur imprimeur de France par l’école Estienne – la référence -, sa société, 7 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel et 49 salariés, s’est construit une solide réputation chez les photographes, et son positionnement sur les beaux livres lui réussit plutôt bien.
Pour autant, l’entreprise du Tarn ne doit sa rentabilité qu’à une exploitation intensive de ses installations. « C’est une PME qui fonctionne en 3×8 tous les jours de l’année. Nous ne fermons ni l’été, ni entre Noël et le jour de l’an et la moindre baisse de rendement nous expose », explique le dirigeant, qui vient d’investir plus de 2 millions d’euros pour ajouter une corde à son arc, avec une activité reliure.
« Plus assez de volumes »
Comme Escourbiac l’imprimeur, les PME de l’imprimerie de labeur – l’impression hors presse quotidienne – bataillent pour résister. Selon des estimations de professionnels, elles seraient aujourd’hui moins de 2.000, dont plus des trois-quarts sont des TPE, contre 2.800 en 2019 et plus de 3.000 trois ans plus tôt. Dans « l’industrie de l’imprimerie et ses activités connexes » (prépresse, finition, reliure, routage…), qui comptent en tout, selon le cabinet Xerfi, 4.800 établissements pour 6,9 milliards d’euros facturés, elles sont devenues d’autant plus vulnérables que cette poche de marché se rapetisse.
Alors que, depuis une vingtaine d’années, le secteur affichait une décroissance annuelle de l’ordre de 2 % à 3 %, sous l’effet de l’image – persistante – de destructeur de forêt mais aussi de la délocalisation des travaux, la décrue a atteint 25 % en volume l’an dernier, par rapport à 2022. « 2022 a été une année de rattrapage et on peut évaluer le déclin à 10-15 % par rapport à l’avant- Covid », précise Gilles Fouquet, le président du groupement ImpriFrance, réseau d’une centaine d’imprimeurs indépendants répartis sur le territoire. « Beaucoup de nos sociétaires arrivent dans le dur parce qu’il n’y a plus assez de volumes », confie celui qui est aussi PDG d’ITF Imprimeurs, une PME familiale de la Sarthe.
Lui-même, qui emploie 110 salariés, avec des activités très diversifiées, a vu son chiffre d’affaires se réduire de plus d’un million d’euros en 2023, à 14,2 millions. Et il a bouclé son exercice sur une perte 500.000 euros, sous l’effet de la hausse des coûts du papier et de l’énergie. « Nous serrons les boulons partout », livre l’entrepreneur. Si cette année devait se révéler aussi difficile que l’année dernière, il lui faudrait vendre une machine et licencier une douzaine de personnes.
Les marchés de l’imprimerie publicitaire
Chez lui et ailleurs, les entreprises clientes, déjà encouragées à développer le numérique lors de la crise sanitaire, ont renoncé à de nombreuses publications de leurs services communications pour des raisons budgétaires, alors que le papier le moins cher augmentait au moins de 50 %. « Un catalogue qui était imprimé à 5.000 exemplaires nous est aujourd’hui demandé à 1.000 exemplaires, quand le client ne décide pas de n’en sortir que 500, pour éventuellement le rééditer », abonde Eric Peyre, un chef d’entreprise de Montrouge (Hauts-de-Seine).
L’Uniic, l’organisation professionnelle des industries de l’impression et de la communication, pointe aussi les effets de l’expérimentation « oui Pub » sur les marchés de l’imprimerie publicitaire ; elle pesait jusqu’à présent un tiers du chiffre d’affaires de la branche, qui est de 4,95 milliards euros. Le dispositif mené dans quatorze territoires, dans le cadre de la loi Climat et Résilience de 2021, limite la distribution de prospectus aux seules boîtes aux lettres portant cette mention.
Coûteuses machines
Quoi qu’il en soit, la pérennité des PME est d’autant plus complexe à assurer dans ce secteur qu’elles doivent investir dans de coûteux outils industriels pour garantir, outre la qualité d’impression, des délais toujours plus courts. La course à l’équipement « est le gros enjeu de tous les imprimeurs, mais surtout des petits. Nous sommes dans une industrie avec des process et des grosses machines qui valent 75 % de notre chiffre d’affaires », fait valoir Sébastien Bellut, qui a racheté il y a neuf ans, en région parisienne, l’Imprimerie Moutot (13 salariés et 2,5 millions de chiffre d’affaires).
Les entreprises qui s’en tirent sont celles qui investissent « mais ce sont des tickets de 5 ou 6 millions d’euros », insiste Pascal Bovero, le délégué général de l’Uniic. Sébastien Bellut, qui a ferraillé pour trouver de nouveaux marchés après le Covid, a préféré renoncer à la machine d’occasion qu’il visait, à 1,6 million d’euros. « Le crédit, accordé par la banque, nous mettait sur le fil du rasoir », explique-t-il.
Atomisation
Sage vigilance : depuis quelques années, l’atomisation du secteur est notable. Les entreprises moyennes guettent les plus petites pour les absorber et récupérer des parts de marché. Dans l’Aude, Nicolas Cayrol, patron de l’Imprimerie de Bourg et président du réseau d’imprimeurs indépendants ImpriClub, a racheté coup sur coup, il y a quelques années, trois TPE pour les fusionner en une nouvelle structure. « Aujourd’hui, Encre verte, 12 salariés, va bien », confie-t-il, désormais à la tête d’un groupe régional de 32 personnes et 6,5 millions de chiffre d’affaires. Quand, d’un côté, le marché se réduit et que, de l’autre, les outils permettent de produire plus, « toutes les parts de marché sont bonnes à prendre », dit-il.
Avec leur portefeuille diversifié et leur clientèle locale, les petites structures offrent des opportunités de développement pour un acquéreur. Au demeurant, pour préserver le tissu entrepreneurial – parce qu’il y a aussi des fermetures pures et dures -, l’Uniic a commencé à monter des opérations territoriales de maillage d’entreprises complémentaires.
Lire : Les Echos du 26 février