Le Figaro, L’Equipe, Le Monde et Les Echos misent sur les abonnements numériques pour s’affranchir (un peu) de la pub. Leur recette : plus de contenus payants et de la data pour booster le recrutement.
Gratuit, freemium, payant : pendant longtemps les médias français se sont interrogés sur le business model le plus pertinent pour leur site Internet. Google et Facebook, au fur et à mesure qu’ils se sont emparés du gâteau publicitaire en ligne, ne leur ont finalement pas vraiment laissé le choix. Désormais, les grands titres issus du print ont basculé une partie de leur modèle vers le payant et accumulent les abonnés 100% numériques.
Sur ce critère, Le Monde, L’Equipe, Le Figaro et Les Echos forment le quatuor de tête : les deux derniers en dénombrent 120 000 et 48 000, les deux premiers plus de 200 000 chacun, mais ce chiffre inclut les abonnés à 1 euro le premier mois et ceux des offres couplées (bundle). Le quotidien sportif a par exemple mis en place des partenariats avec Canal Plus et Bouygues Telecom qui permettent à leurs clients de profiter gracieusement de son offre numérique. Un dispositif qui met à mal le revenu moyen par utilisateur (ARPU) : « C’est un coût d’acquisition caché mais cela crée une habitude de consommation de nos contenus sur laquelle nous pourrons capitaliser à terme », justifie Emmanuel Alix, le directeur du numérique du quotidien sportif. Certes, mais l’OJD, qui ne comptabilise que les abonnés numériques s’acquittant d’au moins 25% du tarif papier, avance donc pour Le Monde et L’Equipe respectivement 140 000 et 100 000 abonnés.
Nombre d’abonnés déclarés | Moyenne des versions numériques vendues en 2018 selon l’OJD | |
Le Monde | Plus de 200 000 (aujourd’hui) | 138 154 |
L’Equipe | 200 000 abonnés (en février 2019) | 100 454 |
Le Figaro | 120 000 | 114 638 |
Les Echos | 48 000 | 45 491 |
Pour tous, la croissance est très forte. L’Equipe est passé de 100 000 abonnés fin décembre 2017 à 200 000 en un peu plus d’un an. Le Figaro revendique lui une croissance annuelle de 40%. Elle est de 31% au Monde et 12% aux Echos. Le Figaro et L’Equipe ont fait le choix d’une stratégie freemium, avec une partie des contenus accessible gratuitement, une autre étant protégée par un mur payant (paywall). Les Echos ont opté pour un « metered paywall », système dans lequel l’abonné peut consommer deux contenus gratuitement, communiquer son adresse email pour accéder à trois supplémentaires et payer une fois ce nombre passé. « Nous estimons que tous les contenus postés sur notre site sont de qualité homogène », justifie Etienne Porteaux, directeur commercial et marketing client aux Echos.
Les quatre quotidiens misent sur le même cheval pour doper leur nombre d’abonnés : les contenus. « Le recrutement de nouveaux abonnés passe par une meilleure mise en avant de nos contenus exclusifs », estime le patron du Monde, Louis Dreyfus. La refonte du site, dévoilée en décembre dernier, s’est opérée en ce sens. Aux Echos aussi, le site a évolué début avril pour se décliner en deux versions : une pour les abonnés, l’autre pour les prospects. L’Equipe prépare également une nouvelle version qui mettra l’accent sur le service aux abonnés et le temps de chargement des contenus. La homepage du site sera par ailleurs personnalisée d’ici la fin de l’année, en fonction des comportements de navigation des abonnés.
Le quotidien sportif a aussi musclé son offre de contenus payants exclusifs à son offre digitale. « Nous postions 2 articles payants 100% numériques par jour il y a un an. Nous en sommes à une quinzaine aujourd’hui, illustre Emmanuel Alix. » Même volonté au Figaro où 20% des contenus postés sur le site appartiennent à cette catégorie. « Le meilleur levier de recrutement, c’est finalement le wall, explique Bertrand Gié, directeur délégué du pôle News du groupe Figaro. Les nouveaux abonnés sont souvent des internautes qui goûtent aux 22% de l’article accessibles gratuitement et veulent connaître la suite. »
Pour identifier ceux qui sont le plus susceptibles de se transformer en abonné, la data devient incontournable. « On parle différemment à un internaute qui lit un article par mois via les réseaux sociaux et un autre qui consulte régulièrement la homepage », illustre Bertrand Gié. Lefigaro.fr teste ainsi la mise en place d’un paywall dynamique qui filtrera l’accès aux contenus de manière différente selon les segments d’internautes. Même projet aux Echos où l’on planche pour le second semestre sur un smart paywall qui s’adaptera aux comportements de l’internaute et aux moments de consommation. L’Equipe prend également le pli de la segmentation marketing. « Nous allons pousser via de l’emailing et des notifications davantage d’articles payants à ceux dont on voit qu’ils cliquent souvent sur cette typologie de contenu », précise Emmanuel Alix.
Pour fidéliser les abonnés, la qualité du contenu est clé. « Plus le nombre d’articles consultés est important, plus le churn est faible », rappelle Bertrand Gié. Avec près de 70% d’abonnés qui le restent passé le premier mois à un euro, Lequipe.fr est plutôt performant de ce point de vue. Mais son pôle numérique a en revanche observé que 20% des abonnés recrutés en 2018 l’avaient déjà été par le passé. « Il y a quelques allers-retours en fonction des grands événements comme les coupes du monde de football ou les JO », admet Emmanuel Alix.
« Cela coûte moins cher de retenir un abonné que d’en recruter un »
La lutte contre le désabonnement est d’autant plus importante pour ces médias que, comme le rappelle Etienne Porteaux, « cela coûte moins cher de retenir un abonné que d’en recruter un. » Fort de ce constat, le quotidien économique est allé toquer à la porte de Google dont le fonds DNI permettra de financer un projet « anti-churn » qui s’appuiera sur la data pour détecter le plus tôt possible les abonnés désireux de se désengager et agir en conséquence, en leur proposant via des push, des contenus connexes à ceux qu’ils consultent habituellement. »
Pour allonger une durée d’abonnement numérique qui se situe autour des 4 ans, Le Monde va lui aussi s’appuyer sur les fonds de DNI (400 000 euros) pour cofinancer un projet de segmentation des tarifs de ses abonnements en ligne, comme le révélait Mind. Le site s’appuie également sur les équipes de Facebook, avec lesquelles il se réunit chaque mois pour comprendre les comportements de ses lecteurs et identifier quels articles attirent quelle cible.
Avec un revenu moyen par abonné numérique (ARPU) bien supérieur à celui d’un internaute lambda (qui dépasse rarement un euro par an lorsqu’il est financé exclusivement par la publicité), le choix du tout payant pourrait paraître une évidence. Mais avec des dizaines de millions de visiteurs uniques gratuits contre quelques centaines de milliers payants, le business model de ces titres est en réalité encore largement dépendant de la publicité. Exemple avec la décomposition du chiffre d’affaires numérique de L’Equipe : 70% de pub, 30% de payant. Le ratio tourne autour de 75-25 au Figaro, qui réfléchit d’ailleurs à faire évoluer son offre tarifaire. « Netflix le fait assez régulièrement sans que ça impacte le rythme des recrutements », justifie Bertrand Gié.