Le début d’année va être marqué par la loi audiovisuelle, la bataille des plateformes de streaming vidéo, et le bras de fer entre la presse et les Gafa sur les droits voisins.
Dans le secteur des médias, 2020 pourrait rimer avec «enfin». Des dossiers au long cours devraient connaître leur épilogue, dont en premier lieu la réforme audiovisuelle, un «big bang» qu’Emmanuel Macron avait annoncé fin 2017. On peut aussi citer la réforme du droit d’auteur, un serpent de mer que l’on pensait soldé avec le vote positif du Parlement européen en mars dernier. Mais c’était sans compter sur la résistance des Gafa face à la création d’un droit voisin pour la presse, qui oblige les éditeurs français à contre-attaquer. D’autres transformations sont à attendre, comme la guerre du streaming qui va embraser les États-Unis. Tour d’horizon non exhaustif de ces sujets clés.
La loi audiovisuelle arrive au Parlement
Attendue depuis 2018, la loi dépoussiérant les règles régissant l’audiovisuel va enfin arriver à l’Assemblée nationale en février. Le projet de loi est loin de faire l’unanimité: les patrons des grandes chaînes privées affirment que la réforme ne va pas assez loin pour les protéger face à Netflix ; les radios s’estiment oubliées ; la presse locale craint pour ses revenus avec l’arrivée de la publicité localisée à la télévision…
Lire : Le Figaro du 2/1/20 page 22
Les téléspectateurs verront de profonds changements sur leurs écrans de télévision. Le projet de loi prévoit, en vrac, trois coupures publicitaires pour les programmes de plus de deux heures, la diffusion de films en prime time n’importe quel jour de la semaine ou le basculement sur le web des chaînes France 4 et France Ô. Les chaînes ne seront également plus tenues d’attendre vingt minutes entre deux tunnels de publicités.
Côté coulisses, le projet de loi veut obliger les plateformes étrangères comme Netflix ou Amazon Vidéo à financer la création française à hauteur de 16 % de leur chiffre d’affaires dans le pays. Leurs obligations seraient ainsi identiques à celles des chaînes télé. La Hadopi et le CSA fusionneraient pour donner naissance à un super-gendarme de l’audiovisuel et du web, l’Arcom. Enfin, l’ensemble des composantes de l’audiovisuel public, soit France Télévisions, Radio France, l’INA et France Médias Monde seraient regroupés au sein d’une holding, sur le modèle de la BBC britannique. Autant de petits big bangs qui promettent leur lot de rebondissements.
L’Autorité de la concurrence doit se prononcer sur d’éventuelles mesures conservatoires contre Google en mars
La bataille des droits voisins se poursuit
C’était l’un des dossiers brûlants du début 2019: la directive européenne sur le droit d’auteur, qui contenait la création d’un droit voisin pour la presse en ligne. Autrement dit, contraindre Google et Facebook à rémunérer les éditeurs pour la reprise de leurs articles, afin de compenser leur prédation sur le marché de la publicité. Objet d’un lobbying intense de la part des «pro» et des «anti», la directive a été adoptée en mars, avant d’être transcrite dans la loi française trois mois plus tard – un record de célérité.
Mais alors que la loi allait entrer en application en France le 24 octobre, Google a décidé d’interpréter le texte à son avantage. Il ne relaie plus que les titres des articles de presse, non-protégés par le droit voisin. À moins, bien sûr, que l’éditeur ne renonce à toute rémunération. Pris à la gorge, les acteurs de la presse ont accepté, mais aussitôt contre-attaqué en saisissant l’Autorité de la concurrence.
2020 va donc être le théâtre de ce nouveau bras de fer. L’Autorité de la concurrence doit se prononcer sur d’éventuelles mesures conservatoires contre Google en mars. En parallèle, les éditeurs, regroupés derrière l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), sont en train de négocier avec Google et Facebook, qui a suivi la même logique que le moteur de recherche. Deux questions sont au centre des discussions: quels types de médias pourront prétendre aux droits voisins, et comment ces derniers seront-ils calculés? Les pourparlers «sont plus avancés avec Facebook», indique le PDG du Groupe Les Échos-Le Parisien, Pierre Louette, qui mène les négociations pour l’APIG.
La guerre du streaming s’intensifie
Elle a débuté fin 2019 aux États-Unis avec l’arrivée d’Apple TV+ et de Disney+, et elle se poursuivra de plus belle en 2020 avec les lancements de Peacock (Comcast) en avril, et de HBO Max (WarnerMedia) en mai. La «guerre du streaming», où est aussi embarqué Amazon et qui vise à faire vaciller le tout-puissant Netflix, promet de cloisonner comme jamais le paysage des programmes audiovisuels en Amérique. Chaque acteur entend mettre en valeur la profondeur de son catalogue historique (les classiques de Disney, les séries Friends ou Big Bang Theory pour HBO Max, The Office pour Peacock…), mais aussi ses nouvelles séries exclusives afin de séduire le maximum de spectateurs. Disney+ a ainsi frappé un grand coup avec The Mandalorian, série dérivée de Star Wars, devenue coqueluche des réseaux sociaux grâce au personnage de «Baby Yoda». La nouvelle plateforme aurait engrangé 24 millions d’abonnés en seulement deux semaines.
Mais avec des tarifs d’abonnement oscillant entre 5 et 15 dollars pièce, les foyers américains vont devoir faire des arbitrages budgétaires. Si la guerre du streaming promet de faire des victimes, elle risque également de couronner un gagnant indésirable: le piratage, dont le niveau avait singulièrement baissé avec l’émergence de l’offre légale de films et de séries.
Le principal défi pour les éditeurs sera de persuader les internautes de se créer un Pass Média
Un identifiant unique pour remplacer les cookies
En test depuis la fin d’année sur les sites de L’Équipe ou de 20 Minutes, le «Pass Média» va se généraliser en 2020 sur près de 80 sites français appartenant à dix groupes médias comme Le Figaro, CMI France, Radio France, Les Échos-Le Parisien ou M6-RTL. Une fois créé, cet identifiant va permettre aux internautes d’être automatiquement authentifiés sur les médias partenaires. Inutile, donc, de mémoriser des dizaines de mots de passe.
Si le Pass Média se présente comme une commodité pour les internautes, il est surtout pour les médias un moyen de se prémunir contre la disparition redoutée des cookies publicitaires. Le visiteur jusque-là anonyme va se voir relié à une adresse e-mail, qui sera partagée par l’ensemble des médias membres. À chacun d’entre eux de construire sa relation avec l’internaute, et de collecter d’autres données comme sa localisation ou ses goûts pour lui proposer de la publicité ciblée, bien plus rémunératrice.
Le principal défi pour les éditeurs sera de persuader les internautes de se créer un Pass Média. Hors de question de bloquer l’accès aux sites à ceux qui le refuseront. Les médias devront convaincre en mettant en avant des services exclusifs: homepage personnalisée, newsletters, possibilité de reprendre sa lecture sur un autre écran ou de commenter les articles…
Mais aussi…
L’arrivée de Mediapro. Dès le 7 août 2020, le groupe audiovisuel espagnol diffusera la majeure partie des matchs de la Ligue 1 de football aux côtés de Canal+. La chaîne 100 % ballon rond que lancera Mediapro est encore bien mystérieuse, qu’il s’agisse de sa distribution comme de ses animateurs et de son état-major. Seule certitude: l’abonnement sera fixé à 25 euros par mois.
Une fondation pour Le Monde. Fruit du bras de fer entre actionnaires et journalistes de septembre dernier, le capital du Groupe Le Monde pourrait être transféré à un fonds de dotation qui en sanctuarisera l’indépendance. Ce serait une première pour un groupe de presse nationale. Les travaux de réflexion ont été confiés à la direction du Monde par les cogérants Xavier Niel et Matthieu Pigasse.
Des audiences certifiées pour les podcasts. L’ACPM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias) vient de lancer sa certification de la diffusion des podcasts, tandis que Médiamétrie propose sa mesure de l’audience de ces programmes audio. De quoi remettre un peu d’ordre dans un marché en plein développement, mais où les annonceurs réclament des données fiables.