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Le troublant recul du nombre de journalistes

Perte de sens, précarité, horaires difficiles, violence… de plus en plus de journalistes décident de quitter le métier. Dans un ouvrage, le sociologue Jean-Marie Charon tente de décortiquer ce phénomène.

Ils avaient rêvé de scoops et de beaux reportages… Ils se sont retrouvés précaires, avec des horaires à rallonge, coincés dans des bureaux… Et ils ont choisi de tourner la page du journalisme.

Certes, la tendance est difficile à quantifier précisément, « mais au vu de mes recherches et de mes entretiens, les journalistes semblent de plus en plus nombreux à avoir quitté la profession, en particulier depuis la crise du Covid », explique le sociologue Jean-Marie Charon, qui publie dans quelques jours « Hier, journalistes » (Editions Entremises).

Tout est parti d’un constat. « La carrière de journalistes dure en moyenne une quinzaine d’années, selon une étude du Carism [Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaires sur les médias, Université Panthéon-Assas, NDLR]. Ce qui est relativement court, après souvent au moins cinq ans d’études supérieures », souligne le chercheur associé à l’EHESS.

Parallèlement, le nombre de cartes de presse ne cesse de décroître. En 2020, 34.132 personnes détenaient le précieux sésame, contre 37.392 en 2009, soit un recul de presque 10 % en une décennie alors que les médias se multiplient.

389 cartes de presse en moins en 2020

Et l’année 2020 a été marquée par une nette baisse avec 389 cartes de moins, le plus fort recul depuis 2015-2016. « Dans ce solde entre les entrants et les sortants, il y a bien évidemment des retraités mais incontestablement aussi ceux qui quittent volontairement le métier », décrypte-t-il. Pour tenter de mieux les connaître, Jean-Marie Charon et Adénora Pigeolat, éducatrice spécialisée en formation, ont rencontré 55 « partants » via un appel sur les réseaux sociaux.

« Le métier fait toujours rêver, comme en témoignent les inscriptions élevées dans les écoles de journalisme. Mais la mutation des médias, marquée par une baisse des revenus, notamment des recettes publicitaires – le chiffre d’affaires de la presse est passé de 10,8 à 6,8 milliards d’euros entre 2007 et 2017 -, associé à la pression pour produire une information à forte valeur ajoutée, pèsent sur les collaborateurs, explique Jean-Marie Charon. Notre étude n’est qu’un point de départ sur un phénomène qui relève souvent du non-dit. Nous souhaiterions une enquête plus complète des autorités publiques. »

Les jeunes en première ligne

Le constat le plus frappant est sans doute que le désamour touche beaucoup de jeunes. « Nous avons été étonnés par l’importante proportion de moins de 35 ans, alors que nombre d’entre eux sont entrés dans le métier autour de 25 ans », poursuit le sociologue. Les quadragénaires et les personnes de plus de 50 ans proches de la retraite font aussi partie des profils les plus touchés.

Première raison invoquée : un certain désenchantement, une perte de sens « d’autant plus douloureuse que l’envie d’être journaliste remonte souvent à l’adolescence ». Certains s’imaginaient en Tintin reporter parcourant le monde plutôt que posté devant un bureau. Plusieurs évoquent aussi un conflit avec leurs valeurs éthiques, d’autres un métier trop difficile. « Ce qui ressort souvent est l’idée qu’il faut faire plus avec moins. Une quinzaine de journalistes ont évoqué des burn-out. »

Un journaliste sur quatre est précaire

La précarité revient aussi très souvent dans les motivations de ces anciens professionnels. Plus d’un journaliste sur quatre est « précaire », c’est-à-dire ayant un statut de pigiste ou de journaliste chômeur, « un chiffre record depuis 2009. Et si l’on considère les journalistes non encartés [comme les autoentrepreneurs], quasiment un journaliste sur deux serait précaire ».

Après un bac +5, difficile d’accepter d’être au SMIC durablement. Or, 22 % des pigistes gagnent moins de 1.027 euros (bruts) par mois.

Les femmes sont aussi surreprésentées dans l’échantillon des journalistes ayant quitté le métier. Sans doute parce qu’elles sont plus touchées par la précarité, mais aussi parce que certaines évoquent des discriminations, un plafond de verre. Plus encore, plus d’un tiers des femmes du panel indiquent avoir été confrontées à de la violence verbale ou physique.

Où vont ces anciens forçats et amoureux de l’information ? Principalement dans l’éducation, mais aussi dans des métiers connexes comme la communication. Certains ont décidé de changer totalement d’univers. Par exemple, l’artisanat.

 

Lire : Les Echos du 23 septembre

 

Jean-Philippe Behr

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