Treize mois après l’entrée en vigueur de la loi « anti-Amazon », qui instaure un seuil minimum de frais de port pour les commandes en ligne de moins de 35 euros, le géant de l’e-commerce vient de tenter une percée dans ce dispositif avec une livraison gratuite dans ses propres points de retrait.
Incorrigible Amazon. Treize mois après l’entrée en vigueur de la loi sur les frais de livraison du livre, dite aussi « loi anti-Amazon », le groupe tente de s’engouffrer dans une brèche juridique.
Depuis le mois d’octobre 2023, un seuil de 3 euros est imposé aux frais de port pour les commandes en ligne de livres inférieures à 35 euros. Celui-ci vise à rééquilibrer le jeu concurrentiel entre le géant de l’e-commerce d’un côté et ses rivaux de l’autre : de la FNAC au Furet du Nord, en passant par les librairies indépendantes, dont les coûts de livraison sont moins facilement amortissables, étant donné les effets de taille.
Mais le géant américain vient de tenter une percée dans ce dispositif. « Les clients d’Amazon.fr bénéficient désormais de la livraison gratuite dans plus de 2.500 points de retrait pour leurs achats de livres », a annoncé Amazon, mardi, dans un communiqué.
Remise en cause du prix unique
Les réactions dans le milieu du livre, mais aussi des politiques, ne se sont pas fait attendre. « C’est scandaleux et désespérant. C’est un flagrant contournement de la loi qui se fait au détriment des libraires », assène la sénatrice Horizons Laure Darcos, qui a porté cette loi sur les frais de livraison du livre, promulguée fin 2021. Mardi, la ministre la Culture, Rachida Dati, a annoncé, au Sénat, qu’elle allait saisir le médiateur du livre – l’autorité chargée de la conciliation des litiges portant sur le principe du prix unique du livre fixé par la loi Lang de 1981.
Pour mémoire, la loi Darcos a pour objectif de compléter cette dernière. La raison ? La forte accélération de l’e-commerce a rendu la loi Lang moins opérationnelle ces dernières années. « Il faut qu’il y ait un prix unique de tous les livres, le livre qu’on va acheter à la librairie comme le livre qu’on reçoit à la maison », avait appelé de ses vœux Emmanuel Macron en mai 2021.
En 2014, une première loi sur le sujet, déjà surnommée « anti-Amazon », avait vu le jour. Celle-ci visait à mettre fin à la gratuité sur les frais de port du livre mais ne définissait pas de grilles tarifaires précises et par paliers. Résultat : Amazon l’avait immédiatement rendue caduque en facturant la livraison de livres… 0,01 euro.
Nouveau texte, nouvel angle d’attaque. Amazon souligne dans son communiqué que la livraison gratuite qu’il propose « est disponible pour une sélection de points de retrait situés dans des commerces vendant notamment des livres ». Amazon fait valoir que la loi le permet. Une interprétation de texte qui n’est pas la même pour tout le monde. Loin de là.
Possible contestation en justice
« Cela s’apparente à un contournement de la loi qui dit que les frais de port peuvent être gratuits lorsque le livre est retiré dans un commerce de vente au détail de livres. La question est donc de savoir si un ‘locker’ [casier, NDLR] implanté dans un hypermarché correspond à cette définition. Pour notre part, nous en doutons », réagit Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF), dont les adhérents pèsent plus des trois quarts du chiffre d’affaires national des librairies indépendantes. Celui-ci se réserve le droit de porter le dossier en justice. « C’est une possibilité. A ce stade, rien n’est arrêté. »
« Amazon contourne l’esprit de la loi et essaie de jouer avec l’interprétation du texte », abonde Eric Lafraise, directeur des relations extérieures du Syndicat des distributeurs de loisirs culturels, regroupant notamment les enseignes Cultura et Le Furet du Nord. « A l’époque des débats sur la loi, l’idée de celle-ci était de faire venir davantage de personnes dans les librairies. Pas vers des lockers. » Amazon rétorque que le dispositif passera certes par des lockers, mais que le retrait se fera aussi au comptoir ou à l’accueil des magasins concernés.
Craignant que cette loi ne fasse tache d’huile en Europe, Amazon est parti en croisade contre elle, arguant entre autres que ces frais de livraison entravent le pouvoir d’achat. Ce à quoi ses opposants rétorquent que le géant de l’e-commerce ne fait strictement aucun geste tarifaire pour l’ensemble des autres produits culturels et de grande consommation. Pour eux, cette politique, concernant uniquement les frais de livraison du livre, s’apparente à du dumping visant à gagner des parts de marché et à évincer les autres acteurs.
Faisant feu de tout bois, Amazon multiplie les prises de parole à ce sujet et les contre-propositions (notamment pour un tarif postal réduit). Mi-2023, la firme avait porté l’affaire devant le Conseil d’Etat, qui l’a renvoyée en mai dernier devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Lire : Les Echos du 6 novembre