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Le Sénat veut renforcer l’indépendance des médias

La commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias propose une série de verrous visant notamment à consolider l’indépendance des rédactions, renforcer la transparence des médias et esquisser des pistes pour la réforme des règles anti-concentration datant de 1986.

Pour renforcer l’indépendance des médias français, le très attendu rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la concentration dans les médias ne fait pas de proposition choc, mais envisage plutôt une batterie de mesures pour éviter que la concentration de plus en plus forte ne nuise au pluralisme.

Voulue par le sénateur socialiste David Assouline, la commission d’enquête a débouché sur un rapport de plus de 300 pages et 32 propositions plus ou moins concrètes. Le déclencheur : les projets de rapprochement entre les leaders français de l’audiovisuel privé (fusion TF1-M6) et de l’édition ( OPA de Vivendi sur Lagardère ). Si elles aboutissent, ces opérations provoqueraient la transformation la plus profonde que le paysage des médias a connue en France depuis quarante ans en termes de concurrence.

Indépendance éditoriale

Le Sénat ne prend cependant pas position sur la très médiatique fusion TF1-M6. Un regard timoré en attendant que l’Autorité de la concurrence ne se prononce à l’automne sur le dossier ? Le rapport est plus opiniâtre sur la contribution à l’audiovisuel public (CAP ou ex-redevance), qu’Emmanuel Macron a annoncé vouloir supprimer s’il est réélu président de la République, ce qui ouvrirait la voie à un financement via une ligne du budget de l’Etat. Les sénateurs s’inscrivent en contrepoint, en préconisant une « ressource fiscale autonome et pérenne » pour l’audiovisuel public.

Plus généralement, dans un paysage médiatique bouleversé par l’irruption de Netflix et la toute-puissance des géants numériques américains, les sénateurs proposent une série de verrous pour protéger les modèles économiques des médias tout en préservant leur indépendance éditoriale. Il s’agit notamment de consolider l’indépendance des rédactions, renforcer la transparence financière dans les médias et esquisser des pistes pour la réforme des règles anti-concentration datant de 1986.

Le rapport sénatorial suggère notamment de créer des administrateurs indépendants, à la fois dans les groupes privés et dans les médias du service public, chargés de prévenir les conflits d’intérêts. Il appelle aussi au renforcement des comités d’éthique et à ce que les chaînes de télévision et radios qui signent une convention avec le régulateur sanctuarisent un budget d’investissement en faveur de l’information.

Antidotes en faveur de la transparence

Les sénateurs prônent aussi plus de transparence dans les médias : publication des résultats financiers titre par titre, obligation de déclaration auprès de l’Arcom de tous les actionnaires détenant plus de 5 % du capital, révision par l’Afep et le Medef du code de gouvernement d’entreprise afin que dans les groupes de médias l’actionnaire majoritaire rende des comptes sur les dispositifs garantissant les « murailles de Chine » entre activités…

Concernant les règles anti-concentration, considérées comme obsolètes et sur lesquelles se penche actuellement une mission conjointe des services du ministère de la culture et de Bercy, le rapport sénatorial ne fait pas de proposition très détaillée, mais émet l’hypothèse d’une refonte de la loi de 1986 prenant en compte le principe de la « part d’attention », c’est-à-dire le temps que chaque individu passe devant chaque type de média (plateformes Web, radio, télévision, presse).

Une législation peu adaptée

Une telle unité de mesure, définie par l’économiste Andrea Prat de l’Université Columbia à New York, a notamment mis en lumière le fait qu’aux Etats-Unis le groupe de médias de la famille Murdoch (News Corp) est premier en parts d’attention devant Facebook. Son introduction en France serait la base d’une « réécriture complète » plutôt qu’un nouveau toilettage de la loi anti-concentration.

Maintes fois retouchée depuis 1986 mais peu adaptée à la réalité du marché, cette législation repose sur une multitude de normes : un même groupe ne peut détenir plus de 49 % du capital ou des droits de vote d’une chaîne nationale de télévision dont l’audience moyenne annuelle dépasse 8 % de l’audience totale des services de télévision ; il ne peut pas non plus détenir plus de sept fréquences hertziennes de télévision ; règle dite du « deux sur trois » médias qui empêche un groupe d’être propriétaire à la fois d’une grande chaîne de télévision et d’un grand quotidien national…

48 auditions

Etalées sur plus de trois mois, 48 auditions ont permis à la commission d’enquête d’interroger non seulement les dirigeants et professionnels de groupes de médias, mais aussi leurs actionnaires et les ministres Bruno Le Maire et Roselyne Bachelot. Quasiment toutes les plus grandes fortunes de France y sont passées, et certaines auditions sont devenues presque des « shows » – comme la passe d’armes entre Xavier Niel et Martin Bouygues .

Si ce rapport peut alimenter la réflexion en cours sur une évolution de la loi de 1986 sur la liberté des médias, la décision finale dépend aussi et surtout du futur résultat de l’élection présidentielle.

 

Lire : Les Echos du 31 mars

 

Jean-Philippe Behr

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