France-Antilles, le seul quotidien de Martinique, Guadeloupe et Guyane, est menacé de disparition. En redressement judiciaire, le groupe connaîtra son sort le 5 décembre lors d’une audience au tribunal qui inquiète lecteurs, politiques et salariés.
Créé en mars 1964 à l’occasion de la visite officielle du président Charles de Gaulle en Martinique, le journal, qui a longtemps été un instrument de pouvoir pour l’exécutif, propose trois éditions distinctes, FA Martinique, FA Guadeloupe et France Guyane. Sur ces trois territoires, le groupe France-Antilles, ancienne filiale du groupe Hersant, compte actuellement 240 salariés.
Placé en redressement judiciaire le 25 juin, il connaît des pertes comprises entre 450.000 et 600.000 euros par mois, pour un chiffre d’affaire annuel de 28 millions d’euros.
« Sans nouveaux financements, c’est la disparition de France-Antilles et France-Guyane à très brève échéance », s’est alarmé cet automne le directeur général de France-Antilles, Frédéric Verbrugghe, dans une tribune, jugeant que « l’édition d’un quotidien dans chacun des trois départements est et demeurera structurellement déficitaire ».
Le gouvernement a annoncé en octobre que la presse d’outre-mer bénéficierait désormais du régime renforcé d’exonération des charges sociales applicables aux entreprises ultramarines.
Dans les trois collectivités, la mobilisation monte pour soutenir le journal, comme à Fort-de-France, où les salariés de l’édition martiniquaise ont fait signer dans la rue une pétition invitant les lecteurs à évoquer leur attachement au quotidien : « Quand j’étais petit, ma mère m’envoyait acheter du pain et un France-Antilles, ça allait de pair », a raconté le chanteur martiniquais Jean-Luc Guanel.
Plusieurs élus ont fait part de leur soutien : « France-Antilles est devenu un pilier de la démocratie locale », selon le député (app. PS) de Martinique Serge Letchimy, même si « ce n’était pas le cas il y a 30 ou 40 ans, quand il n’était qu’un outil de propagande du gouvernement ».
Ce n’est pas la première crise que traverse le quotidien, déjà placé en redressement judiciaire en 2017. Il avait été repris par AJR Participations (société de Aude Jacques-Ruettard, petite fille de Robert Hersant), qui avait annoncé 8 millions d’euros d’investissements et un retour à l’équilibre financier en trois ans. En vain.
– « Titres racoleurs » –
À l’issue d’un premier appel à repreneurs, lancé en juin, il n’y a eu « qu’une seule offre » reprenant l’ensemble, celle d’Octopus Network, dont l’actionnaire principal est le président du Medef de Guadeloupe, Bruno Blandin. Mais elle ne reprend « que 10% du personnel, donc 30 salariés sur les trois départements », explique le représentant du personnel de Martinique, Rodolphe Lamy, à l’AFP.
Après un deuxième appel en septembre, une nouvelle offre a émané de l’actionnaire actuel AJR Participations, qui s’associerait avec des investisseurs et garderait 114 postes. Le journal deviendrait un tri-hebdomadaire avec une seule imprimerie, en Guadeloupe (la Guyane n’aurait plus qu’une édition internet).
Une troisième offre concerne uniquement la Guyane, où un chef d’entreprise prévoit de conserver une dizaine de salariés.
Certains lecteurs déplorent cette possible disparition, comme Rémi Lugo, marchand de fruits et légumes martiniquais qui propose depuis 45 ans le journal à ses clients. « Les gens viennent surtout le samedi parce qu’il y a les avis d’obsèques. Mais de moins en moins de monde l’achète (…) Je ne suis pas content quand un client repart sans France-Antilles, ça me donne des maux de cœur. »
En Guyane, le conteur Franck Compper salue un journal qui « accorde une place aux langues régionales ». « C’est important un journal papier, (…) ça permet aux gosses de voir des gens en train de lire ».
D’autres sont plus critiques, comme Pierrette, infirmière de 32 ans, en Guadeloupe : « On pense aux salariés, mais je n’étais pas très adepte de ce journal qui proposait souvent des titres un peu limites ou racoleurs pour des sujets qui au final n’avaient ni fond ni forme. »
France-Antilles « a naturellement sa ligne et son fond idéologique que l’on peut aimer ou exécrer », reconnaît le sénateur PS de Guadeloupe Victorin Lurel. « Il est cependant devenu absolument indispensable et on ne saurait concevoir le pays sans son quotidien. »