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Le monde du papier s’enfonce dans la crise

Des prix du simple au double, d’énormes tensions sur l’approvisionnement… le marché du papier vit un moment difficile entre l’envol du cours des matières premières, de l’énergie, le désordre du fret et des problèmes de production.

Paul-Antoine Lacour s’en excuserait presque. Avec des carnets de commandes remplis pour des mois, des usines qui tournent à plein régime et un chiffre d’affaires 2021 en hausse de 25 % (5,9 milliards d’euros), l’industrie papetière est dans une forme « plutôt satisfaisante », reconnaît du bout des lèvres le délégué général de la Copacel, la confédération des industriels français. Mais ce tableau réjouissant ne vaut malheureusement que pour ceux qui produisent : en bout de chaîne, les entreprises consommatrices de papier vivent, elles, une véritable crise.

« Un bazar monstrueux », « du jamais-vu » : dans les secteurs où le papier et le carton sont des matières essentielles, la conjoncture est, de l’avis général, inédite. En même pas un an, quatre, cinq voire six vagues de hausses des prix sont venues gonfler la facture, quelle que soit la catégorie.

Après un creux au moment de l’apparition du Covid, la tonne de papier journal est passée d’environ 500 à 1.000 euros, le papier ramette a pris 30 %, le papier kraft recyclé 85 %… Et le papier toilette va « augmenter considérablement », prévenait le 3 avril Michel-Edouard Leclerc sur BFMTV.

Une « menace » pour le pouvoir d’achat

A cette inflation galopante s’ajoutent des retards de livraison, des délais rallongés ; certains papetiers imposent désormais des quotas pour servir le plus grand nombre. « On est passé d’un monde d’opulence à un monde de pénuries. Le point central, actuellement, c’est de ne pas être en rupture pour ne pas perdre de clients.

La question du prix est secondaire », résume Ulrick Parfum, le directeur des achats et marketing produit de Raja, leader européen de la distribution d’emballages. Marché de commodité par excellence, les tensions du papier ruissellent, par ricochet, sur l’ensemble de l’économie.

La situation est telle que Pierre Louette, le président de l’Alliance de la presse d’information générale et directeur général du groupe Les Echos-Le Parisien, a alerté dans un texte transmis au gouvernement sur une « menace qui fragilise grandement l’information du public », en pleine élection présidentielle.

Pour les éditeurs de presse écrite, la crise du papier équivaut à un surcoût « d’au moins 100 millions d’euros » et l’heure est à la débrouille : blocage de la pagination aux « Dernières Nouvelles d’Alsace », suppléments suspendus à la « Voix du Nord »… le prix de certains journaux pourrait lui aussi grimper dans les prochaines semaines.

L’édition, qui utilise cinq à six types de papiers différents pour fabriquer un livre – sans compter le carton -, est également en première ligne. « Là où on achetait du papier trois ou quatre semaines à l’avance, je dois maintenant anticiper ce dont j’aurais besoin en septembre. C’est du pari », s’inquiète Pascal Lenoir, responsable production chez Gallimard et président de la commission environnement et fabrication du Syndicat national de l’édition.

Chacun joue des coudes pour s’approvisionner et, forcément, les gros volumes commandés des mois à l’avance ont les faveurs des papetiers. Mais comment anticiper un succès inattendu, comment lancer une réimpression en urgence ? Sans compter les augmentations de prix, déjà bien réelles pour les amateurs de mangas – de 30 centimes à un euro le tome depuis le 1er janvier chez Panini Manga, par exemple.

Maelstrom

Comment en est-on arrivé là ? La crise du papier est un maelstrom où se mêlent Covid, guerre en Ukraine, flambée des prix de l’énergie, problèmes de production et une transformation structurelle du marché en toile de fond. « Là où, dans le passé, un problème en chassait un autre, aujourd’hui, ils ne font que s’accumuler », remarque Pascal Lenoir.

C’est particulièrement vrai pour les papiers dits « graphiques » (l’édition, la presse, la publicité), dans lesquels l’offre est actuellement totalement sous-capacitaire. A cela plusieurs raisons : la reprise post-Covid, qui a été plus soutenue qu’attendu et qui a fortement tiré la demande, alors que les usines, complexes, n’ont pas beaucoup d’élasticité ; la grève dans les usines finlandaises d’UPM, le numéro un mondial, où les syndicats ont entamé un bras de fer depuis maintenant presque 100 jours pour renégocier leur convention collective.

Il y a, surtout, une raison plus profonde. « Il y a depuis un peu plus de quinze ans un basculement des usages graphiques [les papiers pour l’édition, la presse, la publicité, NDLR], qui étaient majoritaires, vers les usages à emballages », résume Paul-Antoine Lacour.

Mécontents du rendement du papier journal ou du couché sans bois bobine, les papetiers se sont presque tous tournés, dans un même mouvement, vers l’emballage souple ou le papier pour ondulé – des marchés qui affichent, eux, une croissance annuelle à deux chiffres avec l’essor de l’e-commerce ou de l’emballage papier. Les capacités de production sont donc loin d’être suffisantes, et l’embouteillage grossit de jour en jour.

« On risque de creuser notre tombe »

Le désordre mondial du fret et la flambée des coûts de l’énergie, encore accentuée par la guerre en Ukraine, ont fait le reste. « Les produits chimiques ont doublé, les amylacées [les colles pour papier] aussi, le prix de l’électricité a été multiplié par quatre depuis le début de l’année, celui du gaz par sept… », énumère Maxime Thiollet, patron de Groupe Thiollet qui pèse, avec ses 55 millions de chiffre d’affaires et ses 170 salariés, 2 % du marché du papier pour ondulé français.

L’énergie, la hausse du cours du bois et surtout les prix du fret maritime ont, eux, conduit à l’envolée de la matière principale, la pâte à papier. Bien que disponible en quantité suffisante, l’intrant, qui pèse 10 à 20 % des coûts des papetiers, est à un plus haut historique – l’indice de référence NBSK est passé de 810 dollars la tonne en juillet 2020 à près de 1.300 aujourd’hui.

N’arrivant plus à répercuter la flambée des coûts sur leurs clients, l’italien Projest ou le norvégien Norske Skog ont même fermé certaines usines pour ne pas produire à perte… aggravant, encore une fois, les difficultés de leurs clients.

En amont comme en aval, une certitude demeure : tout le monde est, à terme, perdant. « On ne nie pas ces hausses sur nos clients, on mesure bien que cette situation n’est ni saine ni souhaitable », martèle Paul-Antoine Lacour. Maintenu à ces prix, le papier ne va pas tarder à devenir prohibitif pour certains, ce qui pourrait accélérer la numérisation de ses usages. Pour les papetiers, la menace est claire : « on risque de creuser notre propre tombe ».

 

Lire : Les Echos du 13 avril

 

Jean-Philippe Behr

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