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Le « Financial Times » atteint un million d’abonnés

Le quotidien économique britannique a réorganisé son fonctionnement autour du Web et mis la pression sur les coûts.

 

Les employés du Financial Times ont trouvé sur leur bureau, le 1er avril, une petite bouteille de champagne au goulot saumon, la couleur caractéristique du quotidien financier britannique. Pas de poisson d’avril ici, mais un motif de célébration : un million d’abonnés. Un record historique. Un peu plus des trois quarts d’entre eux sont abonnés en ligne, les autres continuant de recevoir l’édition imprimée. Près du tiers est installé au Royaume-Uni, suivi par l’Europe, le reste se répartissant entre les Etats-Unis et l’Asie.

 

L’objectif, atteint avec un an d’avance, avait été fixé en 2015. Cette année-là, le FT avait été racheté par Nikkei pour 1,3 milliard de dollars (1,15 milliard d’euros au cours actuel). Le groupe japonais de journaux et d’information – qui a donné son nom au principal indice boursier du pays, le Nikkei 225 – avait été convaincu du prestige mondial de la marque dans le monde des affaires, mais aussi de sa stratégie commerciale : puisque la publicité en ligne rapportait peu, et que la version imprimée disparaissait progressivement, la seule façon de rentabiliser un tel quotidien de 550 journalistes était de faire payer ses lecteurs en ligne.

 

Un abonnement en ligne élevé

 

Le FT a toujours choisi de faire payer ses lecteurs. Dès 2002, à rebours des grands quotidiens internationaux, il a imposé un paywall. Sa mise en place a largement évolué avec les années, mais le concept reste le même : hormis quelques rares articles gratuits pour les visiteurs peu fréquents, il faut mettre la main à la poche. L’abonnement en ligne est assez élevé, atteignant 50 livres (58 euros) par mois dans sa version « premium ».

 

Réussir un tel basculement a nécessité un profond aggiornamento au niveau interne. Robert Shrimsley, le directeur éditorial du quotidien, explique :

 

« Autrefois, le site était une petite équipe en marge du journal. Aujourd’hui, les pages actualité du journal sont dérivées du site Web et produites par une petite équipe en marge du site. »

 

Les articles sont tous publiés prioritairement en ligne. Charge à quelques éditeurs de piocher le soir dans ce contenu pour élaborer le quotidien papier. Les chefs de service ne sont plus chargés de leurs « pages », qui sont préparées par d’autres, mais doivent superviser le contenu en ligne qu’ils produisent. « Cela évite de commander des articles en fonction de la place disponible dans une page, et permet de se concentrer sur la meilleure façon de présenter le sujet sur Internet, souligne M. Shrimsley. Nous utilisons ainsi beaucoup plus de graphiques qu’avant. »

 

D’un pic d’un demi-million d’exemplaires au Royaume-Uni en 2002, le quotidien est passé à 400 000 exemplaires en 2009, 200 000 en 2016 et est désormais à 175 000

A l’image du Guardian, qui a récemment réduit la quantité d’articles produits, le FT a décidé de mieux hiérarchiser son information en ligne, évitant de changer en permanence la « une » de son site pour réagir aux dernières informations. « Nous n’essayons pas d’être en concurrence avec les agences de presse, observe Robert Shrimsley. Désormais, Associated Press a même des robots qui publient des articles sur les résultats des entreprises. Nous devons offrir plus de valeur que ça. Les gens nous lisent pour être informés, mais aussi pour comprendre. »

 

La croissance des abonnements du FT ne signifie pas pour autant que le journal britannique croule sous l’argent. En 2017, le journal était tout juste à l’équilibre, le bénéfice net étant de 5,3 millions de livres (6 millions d’euros). Pour 2018, les comptes complets ne sont pas encore publiés, mais le groupe annonce un bénéfice opérationnel de 25 millions de livres (28 millions d’euros), pour un chiffre d’affaires de 383 millions de livres (442 millions d’euros). Un site d’information demeure bien moins rentable que le produit imprimé d’autrefois.

 

Le virage est pourtant nécessaire. La chute de l’édition papier semble inexorable. D’un pic d’un demi-million d’exemplaires au Royaume-Uni en 2002, le quotidien est passé à 400 000 exemplaires en 2009, 300 000 en 2012, 200 000 en 2016 et est désormais à 175 000.

 

La bible de la City

 

Dans ce contexte, les dépenses demeurent très contrôlées et les notes de frais strictement encadrées. « Les cadres du journal n’ont pas idée de la pression qui pèse sur les journalistes, notamment au niveau des secrétaires de rédaction et de la mise en page », témoigne un vétéran du journal, qui évoque le recours de plus en plus courant aux pigistes.

 

S’il est la bible de la City, le Financial Times peine toujours à s’imposer aux Etats-Unis, où le Wall Street Journal reste l’incontournable géant des milieux d’affaires américains, avec 2,5 millions d’abonnés.

 

Comme un symbole, le FT va déménager en mai. Le bâtiment au bord de la Tamise où il est actuellement situé appartient à Pearson, son propriétaire avant l’acquisition par Nikkei. En passe d’avoir réussi son virage à l’ère du numérique, le quotidien va retourner à Bracken House, où il était historiquement installé.

 

Lire : Le Monde du 19 avril

 

Jean-Philippe Behr

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