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Le casse-tête de l’application de la loi européenne sur la déforestation

L’interdiction d’importer en Europe des produits issus de la déforestation est décalée d’un an. Certains acteurs sont soulagés, d’autres s’inquiètent d’une prime aux mauvais élèves. La nécessité ressentie par l’Europe de revoir sa copie traduit également sa faiblesse sur la scène internationale.

Le commerce international de matières premières agricoles vient d’obtenir un répit d’une année avant un choc réglementaire. La Commission européenne est prête à reporter d’un an l’entrée en vigueur de sa législation interdisant l’importation de produits issus de la déforestation. Source majeure de gaz à effet de serre, la déforestation est un fléau attaché à de nombreuses cultures comme le cacao africain, le café, mais aussi le caoutchouc, le soja brésilien ou l’huile de palme indonésienne.

Selon des estimations, plus de 10 % du carbone qui s’accumule dans l’atmosphère chaque année est lié ces pratiques agricoles. Le report doit encore être validé par le Parlement et les Etats membres.

Pour éviter de contribuer à ce phénomène, les législateurs européens ont adopté l’European Union Deforestation Regulation (EUDR). Cette loi, qui était censée s’appliquer à la fin de l’année, oblige les différents maillons de la chaîne d’approvisionnement à s’assurer que la marchandise – du cacao, du café ou du soja – n’a pas été cultivée et récoltée sur une terre déforestée après 2020 . Pour s’y conformer, les industriels et les pays producteurs ont mis en place une cartographie par satellites des parcelles, et des systèmes de traçabilité pour garantir « un risque négligeable » de déforestation.

« Usine à gaz »

L’EUDR est « l’exemple type d’une bonne intention transformée en monstre réglementaire », raconte Philippe Chalmin, professeur à Dauphine et spécialiste des matières premières, notamment pour le cacao et le café produits en Afrique. Les exploitations n’ont rien à voir avec la production industrielle de soja ou d’huile de palme en Asie ; les plantations sont familiales et excèdent rarement les 2 ou 3 hectares.

Le texte manquait également de clarté sur l’obligation des opérateurs de documenter certaines obligations. « Nous accueillons le report avec soulagement », confie aux « Echos » un négociant de cacao. Le secteur, notamment dans le monde du chocolat, a certes poussé pour une telle loi, mais le texte de la Commission voté par le Parlement s’est révélé être une « usine à gaz ». D’autant que l’envolée des cours du cacao à 10.000 dollars la tonne a donné du fil à retordre aux négociants.

Ce même négociant raconte que Bruxelles était incapable de donner des instructions claires aux opérateurs privés pour interpréter certains éléments, au point que le secteur a dû élaborer, lui-même, un cadre opérationnel qui a ensuite été soumis à la Commission. « Il n’est pas question de rouvrir le débat sur cette loi », tient à préciser le négociant. Le texte va dans le bon sens mais il faut prendre un peu de temps pour clarifier l’interprétation des différents éléments et les traduire sur le terrain en procédures opérationnelles pour tout le monde.

Réorientation des flux

Sur le marché du soja, des négociants s’inquiètent de ce report car il risque de réorienter brutalement les flux d’échange au profit du Brésil, plus compétitif, et au détriment des Etats-Unis. Or le risque que ces oléoprotéagineux d’origine brésilienne soient issus de la déforestation est bien plus important qu’en Amérique du Nord. Le géant ADM, qui avait anticipé la loi, juge que cette décision risque de se transformer en prime au mauvais élève.

Le sursis accordé s’inscrit dans un « contexte politique et diplomatique », rappelle Sébastien Abis, chercheur à l’Iris et président du cercle Demeter. La Commission européenne, et notamment sa présidente Ursula von der Leyen, poussent pour la signature de l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Or le Brésil préférerait attendre la COP 30 en 2025 qui aura lieu au coeur de l’Amazonie avant de voir cette réglementation européenne s’appliquer. « Ces deux calendriers ont peut-être appelé à un report d’un an sur la déforestation », analyse l’expert.

Cette décision montre plus globalement les faiblesses de l’Europe sur la scène internationale. « L’Europe a certes raison sur les enjeux de durabilité, de protection de l’environnement, de valeurs. Mais elle a raison toute seule et elle bute sur les réactions épidermiques de ces partenaires et de ses concurrents qui jugent ses mesures excessives », ajoute Sébastien Abis.

 

Lire : Les Echos du 15 octobre

 

Jean-Philippe Behr

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