Alfred Chane-Pane et Henri Nijdam ont défendu leur projet respectif de reprise du Quotidien, mercredi après-midi à la barre du tribunal de commerce de Saint-Denis. Le premier a fait valoir le fait qu’il détenait une imprimerie ultra-moderne, tandis que le second a rehaussé son compte courant d’associés à 1,5 million d’euros. Le délibéré interviendra le 3 avril.
D’un côté, la proposition d’Henri Nijdam : une reprise d’activité quasi sans interruption avec 15 journalistes et 11 commerciaux et employés de presse conservés, mais un capital social de seulement 1.000 euros et la nécessité de trouver un imprimeur pour sortir son journal. De l’autre, celle d’Alfred Chane-Pane, qui dispose avec ICP Roto d’un outil industriel performant, en plus du soutien d’un pool d’une dizaine d’investisseurs locaux prêts à garantir un capital social de 1,5 million d’euros, mais qui ne conserverait que 10 commerciaux de l’entreprise en licenciant l’ensemble des journalistes.
Les atouts et faiblesses des deux projets de reprise du Quotidien de La Réunion apparaissaient saillants ce mercredi après-midi, au tribunal de commerce, à l’heure de l’audience qui devait décider de l’avenir du journal lancé en 1976 par Maximim Chane Ki Chune. Sans doute conscient de la nécessité de fournir des garanties financières supplémentaires, Henri Nijdam (Média Capital Réunion) a fourni au juge des lettres d’intention signifiant sa capacité à porter son apport à 1,5 million d’euros, via compte courant d’associés, au lieu des 500.000 euros prévus initialement.
Ses actionnaires, Jean-Jacques Dijoux et Jean-Pierre Lallemand, ont expliqué vouloir agir dans l’intérêt de la presse et de la société réunionnaise. Le premier par patriotisme économique et le second pour la défense de la liberté d’expression. Patron de l’hôtel Ness by Ocean, actionnaire d’Air Austral, Jean-Jacques Dijoux a fait fortune dans l’immobilier et se présente comme « un développeur de projet », qui se lance dans la presse par goût de l’aventure plus que par appât du gain. « L’idée n’est pas forcément de gagner de l’argent, mais surtout de ne pas en perdre », livre le discret sudiste. L’actionnaire minoritaire du projet, Jean-Pierre Lallemand, est une figure du syndicalisme (il est président du SAFPTR) mais aussi le patron de la société de nettoyage ABN Pro, qui compte 350 employés.
En face, Alfred Chane-Pane reste tout aussi discret, même si sa renommée demeure plus importante : propriétaire d’ICP Roto, mais aussi de Corail Hélicoptère, l’homme s’épanche peu dans les médias et assure qu’il restera en retrait du fonctionnement du journal, s’il en devient le principal actionnaire. « L’idée que nous avons soumise à la barre, c’est un mix entre de l’ancien et du nouveau, parce qu’effectivement il faut reconnaître la compétence historique des journalistes du Quotidien, qui connaissent très bien leur milieu », indique Alfred Chane-Pane. « Du nouveau aussi par rapport à de jeunes journalistes, qui viennent des écoles de journalistes et qui ont des méthodes de travail et une vivacité d’esprit différente de ce que nous pouvons connaître aujourd’hui. »
Le chef d’entreprises n’embauchera pour autant aucun des 38 actuels journalistes du Quotidien, par refus de devoir payer d’éventuelles clauses de cession et s’en explique. « On nous a soumis la difficulté d’une éventuelle qualification de fraude aux AGS, par rapport aux anciens qui, s’ils étaient repris par nous, on pourrait considérer que du coup, cela aurait été un faux licenciement. Cela amène à un paradoxe, parce que nous sommes volontaires justement pour recruter les anciens journalistes, mais nous nous sommes vus opposer à la barre par les AGS cette éventuelle qualification [de fraude], alors que nous avons été très clairs dès le début sur notre démarche. »
Grâce à sa rotative identique à celle du Figaro, Alfred Chane-Pane pourra faire passer les coûts d’impression du journal de 3,6 millions d’euros par an à seulement 1,2 million d’euros. Si Henri Nijdam venait à remporter la bataille pour Le Quotidien, il devrait probablement se tourner vers son concurrent pour imprimer.
« Sur l’impression, j’ai confirmé [au tribunal] que M. Chane-Pane était disposé à m’imprimer, en me faisant passer un devis très compétitif, je l’avoue, en m’indiquant que c’était le même niveau de coût que celui qu’il avait mis dans son business plan. Je comprends très bien la réaction de M. Chane-Pane, qui est d’abord un imprimeur qui a besoin de faire tourner son imprimerie », expose Henri Nijdam, assurant aux journalistes patientant dans la salle des pas perdus qu’il avait « les poches plus longues » que celles d’Alfred Chane-Pane.
Aux yeux des représentants SNJ du Quotidien, aucun des deux projets ne semble réellement rassurant ou emballant, même s’ils concèdent avoir relevé l’ouverture au dialogue social d’Henri Nijdam. La décision est désormais entre les mains des trois juges consulaires et de l’unique juge professionnel (dont la voix compte double) du tribunal de commerce, qui rendra sa décision le 3 avril. C’est aussi à cette date que le Journal de l’île de La Réunion (Jir), où s’ébauche actuellement un plan social d’environ 30 salariés, doit repasser en audience pour le suivi de son redressement judiciaire.