L’annonce de nouvelles stratégies et grosses restructurations chez Tamedia, avec 290 suppressions d’emplois prévues, a suscité une avalanche de vives réactions mardi. Syndicats des médias, sociétés de rédacteurs, gouvernements et partis politiques se sont montrés très critiques et inquiets.
Les principaux syndicats ont été les premiers à réagir. Syndicom critique sévèrement le licenciement collectif et la fermeture des deux centres d’impression de Bussigny (VD) et de Zurich. « Une fois de plus, l’entreprise de presse se concentre sur la maximisation des profits au lieu d’assumer sa responsabilité sociale et d’investir dans le journalisme », déplore-t-il dans un communiqué.
Le syndicat demande à l’entreprise de revoir sa stratégie d’entreprise, de conserver les imprimeries et de préserver autant d’emplois que possible. Le plan social doit également être amélioré.
« Au cours des 15 dernières années, les actionnaires du groupe TX, propriétaire de Tamedia, ont empoché plus de 670 millions de dividendes sur un bénéfice de 2,2 milliards d’euros tandis que des centaines d’employés étaient licenciés. TX Group reste très rentable, cette politique de démantèlement sans égard pour les collaborateurs doit prendre fin », déclare Stephanie Vonarburg, vice-présidente et responsable du secteur des médias chez syndicom.
« Tamedia se retire du marché de l’impression, sans réelle urgence économique, pour vendre ses immeubles de Lausanne et Zurich au prix fort. C’est inacceptable et dramatique pour les employés. Nous exigeons que Tamedia assume sa responsabilité sociale », demande également le syndicat.
Conjointement avec les commissions du personnel, syndicom s’impliquera pour le maintien des emplois et pour l’amélioration du plan social et des conditions de travail. Il appelle le personnel de Tamedia à participer aux assemblées du personnel et à faire valoir ses droits.
Un moratoire sur les licenciements demandé
Le syndicat des journalistes suisses Impressum dénonce, lui, une décision « catastrophique et démesurée », alors que les titres du groupe sont globalement rentables. Le fait qu’après les 80 licenciements prononcés en 2023, 90 postes à plein temps doivent déjà être supprimés témoigne d’une stratégie d’entreprise autodestructrice, estime-t-il.
La succession rapide de mesures d’économies drastiques sur le dos des collaborateurs et collaboratrices laisse transparaître un manque de responsabilités sociales et sociétales. Au lieu de supprimer des postes au détriment de la diversité de l’information et du personnel, Tamedia doit investir les bénéfices dans des réserves et dans le journalisme, afin de pouvoir absorber les futures fluctuations du marché sans licencier, dénonce Impressum.
Le syndicat demande à l’entreprise de presse un moratoire sur les licenciements pendant plusieurs années. Selon lui, ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible de rétablir un climat de travail productif après les suppressions d’emplois.
Le syndicat suisse des médias (SSM) se montre quant à lui « profondément préoccupé » par les suppressions massives de postes annoncées mardi. En biffant près de 300 postes à plein temps, la direction du groupe « met en péril le journalisme indépendant et la diversité des médias en Suisse ». Le démantèlement est particulièrement inquiétant en Suisse romande, souligne le SSM.
« Avec la suppression de près de 300 postes à plein temps, Tamedia dit adieu à environ 20% de ses effectifs », explique-t-il encore dans un communiqué. « Il s’agit de la plus grande suppression de postes depuis son intégration à TX Group en 2019. Elle illustre le fait qu’en interne, le journalisme continue à perdre de son importance ».
Par ailleurs, la perte d’environ 200 postes dans le secteur de l’imprimerie est particulièrement grave. La fermeture des centres d’impression de Bussigny et de Zurich et la concentration sur le site de Berne représente une perte sèche, d’autant plus que Ringier a récemment fermé sa plus grande imprimerie et a annoncé la fermeture de son imprimerie de magazines à Zofingue, déplore le syndicat.
Des coupes « destructrices » et « inhumaines »
Du côté du personnel des rédactions, « c’est un choc », rapporte Erwan Le Bec, président de la Société des collaborateurs du 24 Heures, dans le 12h30 de la RTS. « Personne ne s’attendait à des coupes aussi massives, qui sont inédites dans l’histoire de la presse romande. Les gens sont révoltés, abattus, indignés. »
Ces coupes « destructrices » et « inhumaines » sont désormais également « cycliques », s’enchaînant avec les années, dénonce le journaliste, qui relève que les éditeurs de Tamedia « distillent le moins d’informations possibles pour éviter une mobilisation des rédactions, du monde syndical et du monde politique ».
Erwan Le Bec souligne également la différence de traitement entre les Romands et les Alémaniques. « Nous voyons bien que des titres sont relégués en catégorie B et nous sommes inquiets pour la Suisse romande. Nous demandons à l’éditeur un minimum de dignité et de transparence sur ce qu’il entend faire des fleurons industriels que sont les imprimeries ainsi que les journaux, qui appartiennent au patrimoine cantonal et, avant tout, aux lecteurs. »
« C’est une journée noire pour la presse suisse et la presse romande en particulier », conclut le journaliste. « Car il ne faut pas se leurrer, cela va continuer, ce ne sera pas uniquement Tamedia. Ce sera ensuite au tour des autres éditeurs puis du service public. »
Dominique Botti, journaliste à 24 Heures et membre de la coordination des rédactions romandes, rapporte lui aussi un personnel « remonté, énervé » et « surtout très inquiet ». « Il y a encore une année, Tamedia était une grande famille unie, fédérale, helvétique, bilingue et ces annonces donnent des signes que Zurich s’éloigne de la Suisse romande », relève-t-il en parlant de la création d »un Röstigraben ». A l’exemple de l’annonce des mesures, faite en allemand et non en français comme l’aurait préféré le personnel.
Réunies à la mi-journée en assemblée générale, les rédactions romandes de Tamedia dénoncent « avec force le plan de réorganisation et de restructuration », un projet « mortifère ». Elles en appellent à une « révision de ce plan radical et à un sursaut citoyen et politique pour la sauvegarde d’une presse de proximité et de qualité ».
L’inquiétude du gouvernement vaudois
Le Conseil d’Etat vaudois s’est dit quant à lui « particulièrement préoccupé » par les annonces qui se succèdent depuis plusieurs années chez Tamedia, bien qu’il soit « conscient » des mutations actuelles dans le secteur de la presse. Le gouvernement cantonal souligne « les conséquences importantes » en termes d’emploi et de savoir-faire industriel dans le domaine de l’impression.
Concernant les 90 postes supprimés dans les différentes rédactions de Tamedia, dont le détail n’est pas encore connu, le Conseil d’Etat regrette « ce nouvel appauvrissement de la presse romande ». De même, il craint « un affaiblissement majeur » de la couverture de l’actualité en Suisse romande.
Le Conseil d’Etat déplore aussi avoir été informé mardi seulement de cette annonce « dont les conséquences sur l’emploi en Suisse romande et dans ce secteur sont majeures ». Les autorités vaudoises entendent « rencontrer rapidement » les dirigeants de Tamedia. Ils souhaitent notamment comprendre « leur stratégie et les raisons qui les ont poussés à prendre de telles décisions ».
Le gouvernement conclut en disant qu’il sera « particulièrement attentif » au respect des dispositions légales en matière de licenciements collectifs.
La consternation du Conseil d’Etat genevois
Le Conseil d’Etat genevois a pris connaissance « avec consternation », mardi, de l’importante restructuration annoncée par Tamedia, a-t-il annoncé dans l’après-midi. Il déplore que le groupe de presse « n’ait procédé à aucune concertation » et craint pour l’avenir de la Tribune de Genève.
Le gouvernement genevois se dit conscient des enjeux auxquels le secteur des médias est confronté avec l’avènement de l’ère numérique. Mais il déplore la stratégie du groupe zurichois qui, « depuis de nombreuses années, aboutit à des pertes massives d’emplois ainsi qu’à un appauvrissement de la diversité et de la qualité de la presse ».
Pour le Conseil d’Etat genevois, les orientations stratégiques expliquées mardi par Tamedia « menacent, à terme, l’existence de la Tribune de Genève et l’identité même de l’information genevoise au sein du groupe ». Le gouvernement condamne « fermement » l’option qui a été prise.
L’exécutif rappelle que la presse est un pilier d’une démocratie forte et que ce secteur ne peut être gouverné « par de simples considérations financières, comme un bien de consommation ordinaire ».
Le Conseil d’Etat genevois relève qu’il avait obtenu de rencontrer les dirigeants de TX Group/Tamedia le 10 octobre prochain. Vu la tournure des événements, il leur demandera d’avancer ce rendez-vous afin d’évoquer la situation et de s’assurer que l’entreprise zurichoise assume pleinement ses responsabilités d’employeur.
« Bien de consommation ordinaire »
« Tamedia gère la presse comme un bien de consommation ordinaire », déplore sa présidente, Nathalie Fontanet, sur le plateau du 19h30 mardi. Or, « on a besoin d’avoir une diversité de la presse » et les coupes ne vont pas dans ce sens.
Elle se dit consternée par « la nouvelle stratégie de Tamedia qui va exclure petit à petit la Tribune de Genève. On craint pour ce quotidien qui est cher aux Genevois » et « l’effet sur le personnel ».
Nathalie Fontanet se demande donc s’il ne serait pas mieux de laisser « ces médias, qui font l’actualité des cantons (…) et qui permettent aux Genevois de se prononcer et de se déterminer sur certaines décisions, en des mains plus petites » que celles de ces grands groupes. « La question se pose pour de tels quotidiens. » Elle donne l’exemple du Nouvelliste et de La Liberté qui sont « des petits journaux cantonaux et non détenus par de grands groupes ». « C’est peut-être une solution », avance-t-elle en prenant l’exemple du Temps qui fonctionne grâce au mécénat.
La présidente du gouvernement genevois ajoute que « l’Etat de Genève met environ 500’000 francs par an d’aide aux médias » et elle se dit prête à réfléchir à d’autres moyens de soutenir la presse. « Nous pouvons peut-être apporter d’autres aides », avance-t-elle.
Villes choquées
Pour la Conférence des gouvernements de Suisse occidentale (CGSO), la décision est « un nouveau coup porté à l’accès à l’information, dans un paysage médiatique romand dont la diversité est très sérieusement menacée ».
De gauche à droite, la classe politique vaudoise s’est également dite inquiète des mesures « intolérables » de Tamedia. Certains partis dénoncent un mépris envers la Suisse romande.
Enfin, les Villes de Lausanne, Genève et Bussigny sont « choquées et inquiètes ». Elles ont « peine à croire au désormais mantra de l’entreprise essayant de faire croire, coupe après coupe, pouvoir faire mieux avec moins », indiquent-elles dans un communiqué conjoint. « Alors que TX Group se porte bien et verse des dividendes à ses actionnaires, il n’est pas compréhensible qu’il licencie du personnel », ajoutent-elles.