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La presse régionale française : une forteresse fragilisée

Ce n’est pas l’hécatombe comme aux Etats-Unis, mais la presse régionale française doit rattraper son retard sur la monétisation de ses offres Web. Surtout si les télévisions lui chipent davantage de publicité à la faveur de la réforme de l’audiovisuel.

 

Pour la presse régionale et locale française, c’est loin d’être l’hécatombe comme aux Etats-Unis ou dans d’autres pays. Mais comme le montrent de nombreux indicateurs en berne, la presse quotidienne régionale (PQR) est fragile et ne doit pas rater sa transition vers le numérique.

 

Si l’on n’assiste pas à la multiplication des fermetures de titres en France, c’est d’abord parce qu’une certaine concentration a déjà eu lieu. « La presse quotidienne départementale s’est consolidée à partir des années 1960 – on est passé d’une quarantaine de titres à une quinzaine aujourd’hui – et elle a été absorbée par les groupes de PQR au cours des vingt-cinq dernières années, raconte Jean-Clément Texier, spécialiste du secteur. De même, la presse hebdomadaire régionale, qui a pris son envol économique dans les années 1950 et sert aujourd’hui avec ses 260 titres la demande hyperlocale, appartient pour plus de la moitié à la PQR, notamment ‘Ouest-France’ et ‘La Voix du Nord’ (Rossel). »

Pouvoir politique

 

Aujourd’hui encore, des groupes comme Ebra, la filiale du Crédit Mutuel qui regroupe 9 titres dans l’est de la France (« Le Progrès », « L’Est Républicain »…) rationalisent le secteur avec la fermeture d’imprimeries ou la mise en commun d’outils logistiques. Ces groupes pèsent déjà lourd : 550 millions d’euros de chiffre d’affaires pour Ebra et 330 millions pour Ouest-France. En outre, ils ont beaucoup d’abonnés, ce qui élimine les problèmes de trésorerie, explique Philippe Carli, le président d’Ebra.

 

D’autres facteurs favorables sont intervenus. « Par rapport aux Etats-Unis, les marchés français ou même belge sont plus régulés et protégés par des identités distinctes », explique Bernard Marchant, patron de Rossel (« La Voix du Nord »…).

Enfin, des facteurs externes interviennent. Comme l’illustre très bien à elle seule la bataille autour de « Nice-Matin », les journaux régionaux restent attractifs parce qu’ils ont de beaux actifs immobiliers et parce qu’ils restent influents politiquement au niveau local.

Baisse de 10 % des effectifs

 

Cela étant dit, la diffusion payée de la presse régionale et départementale a plongé de 5,7 millions d’exemplaires chaque jour en 1996 avant Internet, à 3,8 millions l’an dernier, avec une accélération récente. Le réseau de kiosques disparaît moins vite qu’à Paris, mais il diminue aussi.

 

De même, sur dix ans, le nombre de cartes de presse a baissé de 9,6 %, contre 6,7 % pour la presse en général, selon le baromètre social des Assises du journalisme présenté par le  sociologue Jean-Marie Charon.  « Peu de patrons de presse diront que les plans sociaux sont terminés », précise-t-il. Ebra est en train de supprimer 383 postes, même s’il en crée 284 dans de nouvelles fonctions. « Tous nos journaux sont rentables, mais de 10 % en marge brute et il faudrait 25 % pour être à l’aise », dit Bernard Marchant.

 

D’abord, comme la presse nationale, la PQR souffre de la baisse de la publicité sur ses éditions papier et de la captation de la croissance sur le numérique par Google et Facebook. « Nous sommes dans une période de transition douloureuse, explique Jean-Michel Baylet, PDG de ‘La Dépêche du Midi’ et président de l’Alliance de la presse d’information générale. Jamais la PQR n’a eu autant d’audience avec le numérique, mais la monétisation n’est pas encore au point car les Gafa pillent nos recettes. »

 

Ensuite, la presse locale n’est plus le seul vecteur d’informations locales. Les mairies, les clubs de sports, etc. ont tous leur site Internet. Du coup, la question de la ligne éditoriale se pose. « Nous sommes des médias de masse, pas de niche, précise Bernard Marchant. Le premier défi est de garder des audiences fortes. » La plupart des titres se recentrent sur l’information locale, pas concurrencée par la presse nationale. La voie est ouverte car les nouveaux entrants, à l’américaine, très localisés ne sont pas encore solvables, explique Jean-Clément Texier.

L’enjeu de la réforme audiovisuelle

 

Par rapport à ce positionnement, « Ouest-France », avec ses 500.000 abonnés papier et son audience de 3 millions de lecteurs, se distingue. « ‘Ouest-France’ n’est pas qu’un journal régional, explique Louis Echelard, son président du directoire. A partir de notre région, nous parlons du pays et du monde. » Le groupe renforce ses équipes journalistiques à Paris et à l’étranger.

 

Enfin, la PQR est en retard sur les abonnements numériques, notamment parce que l’information locale n’est pas associée au payant sur la Toile dans l’esprit des lecteurs. Sophie Gourmelen, directrice générale du « Parisien », explique que « l’un des grands enjeux pour la PQR est de développer des contenus numériques avec des marqueurs payants ».

 

Dans ce contexte déjà délicat, la PQR a certes échappé au pire pour les annonces légales, secteur qui aurait pu être complètement ouvert à la concurrence. Mais elle risque de perdre les secteurs interdits de télévision, comme la grande distribution, et d’être confrontée à la possibilité pour les chaînes de faire de la publicité géolocalisée. « Nous menons une croisade absolue contre cela », dit Jean-Michel Baylet. L’argument est que la PQR est un gage de lien social dans les territoires.

 

Si la loi audiovisuelle devait entériner ces changements, il faudra couper à nouveau dans les coûts, prévient Bernard Marchant… Les pressions pour que des mouvements de concentration se poursuivent ne feraient également que s’accroître, même si le patron d’Ebra, Philippe Carli, pense que les groupes peuvent se contenter de mutualiser certains efforts, puisqu’ils ne se concurrencent pas sur leurs territoires respectifs.

 

Lire : Les Echos du 8 juillet

 

Jean-Philippe Behr

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