« Stylist » a suspendu sa parution sine die. « 20 Minutes » subit un mouvement de grève. Les trois journaux gratuits nationaux – il faut ajouter « CNews », ex-« Direct Matin » – traversent une période très difficile. Mais alors qu’un retour à la vie normale pourrait poindre, ils ne jettent pas entièrement l’éponge.
Qu’ils soient adossés à un site Web puissant (« 20 Minutes »), à une chaîne de télévision en pleine ascension et à un actionnaire riche (« CNews », ex-« Direct Matin ») ou à un groupe de presse magazine (« Stylist »), les titres de la presse gratuite nationale ressortent sonnés à divers degrés d’une année de confinements et de déconfinements en accordéon. Même si la perspective d’un retour à la vie normale les incite à ne pas entièrement jeter l’éponge, des titres ne vivant que de la publicité et visant la cible urbaine active ne pouvaient que souffrir de la paralysie des transports en commun, où ils sont majoritairement distribués.
L’hebdomadaire « Stylist », né d’ un partenariat entre le groupe Marie Claire et le britannique Shortlist Media (sorti de la coentreprise en juin 2020), a suspendu sa publication sine die, comme l’a révélé « La Correspondance de la presse », et va procéder à un plan de restructuration avec des départs. Malgré de très fortes audiences numériques, le leader d’entre eux, « 20 Minutes », a de son côté enregistré autant de pertes en 2020 que de profits accumulés sur les deux exercices précédents, selon une source syndicale.
Il a subi deux jours de grève la semaine dernière à la suite de l’annonce de réductions d’effectifs, la rédaction craignant que la direction ne veuille rogner sur la qualité des contenus. Quant à « CNews », sa rédaction Web et celle de la chaîne ont été rapprochées, et le fait que la publication papier ne semble pas menacée doit sans doute beaucoup à la percée de la chaîne CNews, qui talonne BFMTV.
Grandes heures
La crise de la presse papier et la difficile monétisation publicitaire sur le numérique avaient déjà fragilisé ces titres malgré un démarrage flamboyant. Lancé en 2002 par Groupe Sipa-Ouest-France et les Norvégiens de Schibsted (qui a vendu ses parts à Rossel début 2016 ), « 20 Minutes » avait su trouver un ton en s’appuyant sur des articles pédagogiques et une implantation régionale.
Son site Web, relancé en 2007, a pris de vitesse une presse d’information qui se méfiait de la Toile. De même, cela peut paraître étonnant aujourd’hui, mais CNews s’est lancé en partenariat avec « Le Monde ». Quant à « Stylist », il a rajeuni la presse féminine et atteint l’équilibre en 2018.
Mais l’année 2020 a été brutale. La diffusion de « 20 Minutes » s’est effondrée de 928.000 exemplaires en février 2020, avant le premier confinement, à 641.000 en mars cette année, selon les décomptes de l’ACPM sur la presse gratuite . Surtout, le titre a imprimé 94 numéros l’an dernier au lieu de 126 en 2019.
Même trajectoire pour « CNews », passé de 829.000 exemplaires en février 2020 à 654.000 en mars. Les jours d’impressions ont plongé de 143 à 54 entre 2019 et 2020. Alors que les coûts d’impression et de distribution sont élevés, cette presse choisit souvent de ne pas publier de journal certains jours quand il n’y a pas assez de publicités.
Or, la reprise des tirages papier est lente et l’ACPM, qui valide l’audience des titres pour les annonceurs, ne prend en compte la diffusion des PDF que s’il y a eu une impression papier. Quant à « Stylist », arrêté récemment, son tirage a reculé de 406.000 exemplaires en février 2020 à 323.000 en mars 2021.
Les groupes ont tenté de réorienter la distribution hors des transports en commun pour toucher des carrefours de passages, par exemple devant les écoles, mais cela coûte plus cher que de déposer des journaux dans des racks à l’entrée du métro, dit un professionnel.
Formats différents
Pour la suite de l’aventure, tout dépendra de la stratégie globale de ces acteurs des médias. « 20 Minutes est un ‘pure player’ de l’information qui publie un gratuit », explique Frédéric Daruty, PDG de cette entreprise. Or le site d’information en continu de « 20 Minutes » bénéficie d’une forte audience, souligne-t-il. Au dernier classement mars 2021 de l’ACPM, il était le quinzième en France avec 79 millions de visites.
Malgré des pics très élevés en début de confinement, cela n’a pas compensé la baisse des revenus du papier, mais le numérique devrait représenter 50 % du chiffre d’affaires cette année, estime le PDG. Et un retour à l’équilibre est envisageable pour 2021, selon lui.
Frédéric Daruty estime qu’on ne reviendra probablement pas à la diffusion d’avant crise une fois la situation sanitaire normalisée mais qu’elle va remonter. Et le groupe travaille sur de nouveaux rendez-vous réguliers pour le papier sur des thématiques qui plaisent aux jeunes, comme l’environnement.
Quant à « CNews », selon nos informations, il s’attend à ce que la hausse des audiences de la chaîne de télévision cousine (le journal appartient à Groupe Bolloré et la télévision à Vivendi, filiale de Bolloré) tire celle du papier.
En attendant, ses journalistes Web musclent la rédaction numérique de la chaîne, que le groupe veut désormais voir décoller. Il n’est donc pas question de renoncer au papier, qui s’inscrit bien dans une offre publicitaire multisupports, notamment si Vivendi, premier actionnaire de Lagardère , peut aussi travailler en plus étroite relation avec des actifs de ce groupe comme la radio Europe 1.
Même « Stylist » n’a pas tout à fait abandonné la partie, même s’il a perdu deux tiers de ses revenus en 2020 pour ne plus atteindre que 3 millions d’euros environ. « Nous nous concentrons sur le numérique, mais une publication papier pourrait reprendre sous une autre forme », disent Arnaud de Contades et Gwenaelle Thebault, président et directrice générale déléguée du groupe Marie Claire.