Depuis plusieurs années, de nouvelles récompenses et accessits littéraires n’ont cessé de voir le jour. Outre le Goncourt, dévoilé ce lundi, la France est aujourd’hui le pays qui compte le plus de prix littéraires avec des retombées économiques très inégales.
C’est un heureux événement qui se produit régulièrement dans le milieu français de la littérature, très fertile en récompenses et accessits. Il y a quelques semaines, le « Nouvel Observateur » a annoncé la naissance de son prix littéraire soutenu par la maison Chanel. Celui-ci récompensera une primo-romancière avec une dotation de 20.000 euros.
« Ce prix est le prolongement de nos pages culture qui ont toujours été très fournies, notamment au niveau de la littérature, ainsi que du festival « MOT pour Mots » que l’on coorganise avec « Le Monde » et « Télérama », explique Grégoire Leménager, directeur adjoint du « Nouvel Observateur ». Entre la dotation qui n’est pas négligeable, le label « Nouvel Observateur » qui apparaîtra sur le livre et sera prescripteur ainsi que le jury, qui est notamment composé de Marie NDiaye (lauréate du prix Goncourt 2009) et de Jérôme Garcin (écrivain, journaliste et critique littéraire), nous pensons que notre prix peut devenir un rendez-vous qui compte dans l’édition ».
« Une forme de surenchère »
Pour cause, ce nouveau prix devra se faire une place dans un écosystème déjà très fourni. « La France est le pays avec le plus de prix littéraires au monde. Cela fait plusieurs siècles que l’on a cette tradition de couronner des ouvrages. Mais il y a eu une vraie inflation à compter du milieu des années 1990 », indique Bertrand Labes, spécialiste des prix littéraires et auteur de cinq livres sur le sujet dont « Le Guide des prix et concours littéraires » en 2008.
Selon l’expert, il y aurait entre 1.000 et 1.500 récompenses attribuées dans l’Hexagone et 80 à 90 nouveaux prix qui apparaissent chaque année pour quarante qui disparaissent. « Depuis quelques années, on voit beaucoup de prix lancés par des régions, des médiathèques, des collectivités pour faire parler d’elles et faire connaître des auteurs locaux », poursuit Bertrand Labes qui observe une forme de surenchère dans le milieu. « Après la création du prix du café de Flore, qui a eu son petit succès, sont apparus celui de la Closerie des Lilas puis le prix Le Vaudeville (précédemment prix La Coupole) », illustre-t-il.
Des hôtels, des éditeurs, des festivals, des libraires, des vignobles, des marques de parfum : les prix se multiplient. « Pour les grandes marques, c’est un investissement marketing qui ne représente pas grand-chose et qui vise à leur donner un petit côté intello chic », considère Elsa Lafon, directrice générale du groupe Michel Lafon.
Une période de profusion
« Avec la crise sanitaire, les gens ont beaucoup lu et acheté de livres. Depuis, nous vivons à nouveau une période de profusion de nouveaux prix car cela a redonné un certain cachet au livre », abonde Nathalie Iris, présidente du prix des Libraires qui a vu le jour en 1955. Elle ne s’inquiète pas outre mesure de cette inflation.
« Il y a beaucoup de prix qui sont plutôt des mises en avant d’auteurs par des marques ou des commerces que de vrais prix décernés par un jury d’experts littéraires. Un prix comme le nôtre est assis sur la crédibilité des libraires qui sont vus comme objectifs par les lecteurs. Et puis, certains prix sont des coups marketing qui ne dureront pas dans le temps. »
Il y a quelques semaines, la fondation Orange a tiré le rideau sur ses prix littéraires créés en 2009. La structure a argué qu’elle souhaitait réallouer ses fonds pour le soutien à la musique. Ce qui a déclenché un mini-séisme du côté de Saint-Germain-des-Prés.
Un révélateur pour les nouvelles plumes
Car cette prolifération de prix est perçue d’un bon œil par les éditeurs. « Il y a de tout : certains prix, comme le Goncourt ou le Renaudot, peuvent changer la vie d’un auteur et d’un éditeur. D’autres sont plus symboliques, fait valoir Philippe Robinet, directeur général de Calmann-Lévy. Mais c’est réjouissant qu’il y en ait autant : c’est une forme de célébration de la littérature ».
Cette inflation des récompenses littéraires s’inscrit dans un contexte de marché difficile pour l’édition. « De nombreuses maisons sont à l’os. Dans ce contexte-là, ces prix qui distinguent, au sens noble du terme, auteurs et éditeurs, sont positifs. Votre travail est récompensé et personne ne boude un prix qui lui est décerné », abonde Manuel Carcassonne, directeur général des éditions Stock.
Dans le vaste monde du livre, certains prix sont aussi un moyen pour les romanciers en herbe de se faire connaître. « Les éditeurs peuvent repérer les talents de demain. Des auteurs comme Olivier Norek ou Virginie Grimaldi se sont fait remarquer en remportant le prix littéraire aufeminin », souligne Elsa Lafon.
Autant de prix que de fromages
Mais dans le milieu germanopratin, la situation peut aussi agacer. « Le général de Gaulle a dit un jour : « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages ? » On peut se faire la même réflexion avec les prix littéraires. C’est à la fois sympathique et un peu ridicule, ironise un éditeur. Il y en a tellement qu’on doit faire des choix : cela coûterait trop cher en envoi de livres et en frais de déplacement pour nos auteurs de candidater à tous. »
Reste que certains prix ont parfois connu une trajectoire surprenante. Lancé en 2012 sur Radio Nova, qui l’autoqualifie de « plus sérieusement absurde des prix littéraires », le prix de la page 111 – qui attribue au gagnant 1,11 euro en espèces sonnantes et trébuchantes soit 111 pièces d’un centime -, a su se construire une petite notoriété avec son côté décalé.
« C’est un prix que personne n’est mécontent d’obtenir. Ce n’est pas prescripteur mais cela fait un peu parler du livre et de votre maison dans le milieu », s’amuse un éditeur. Davantage, en tout cas, que le prix de la page 112 lancé au même moment mais qui n’a pas rencontré le même succès. L’inflation a aussi ses limites.
Lire : Les Echos du 4 novembre