Depuis plusieurs mois, les éditeurs ne sont plus en proie à des problèmes d’approvisionnement et les prix ont diminué. Mais il y aura un avant et un après à cette crise du papier. Explications.
Dans l’édition, la crise du papier n’est plus qu’un mauvais souvenir. Oubliés les coups de téléphone nerveux des chefs de fabrication aux imprimeurs ou papetiers pour s’assurer de la bonne livraison d’une bobine, enfin finis les prix et les délais de livraison qui grimpent ou s’allongent sans cesse, terminés les cauchemars d’éditeurs s’inquiétant – un comble ! – d’un succès surprise d’un livre et d’une incapacité à réimprimer rapidement pour livrer les libraires, faute de matière première disponible.
« Tout est rentré en ordre, confie Christian Toanen, directeur de fabrication chez Michel Lafon. Aujourd’hui, il n’y a plus cette crainte d’une pénurie pure et simple et les délais d’approvisionnement sont de nouveau compris entre trois et six semaines, alors que cela avait pu monter jusqu’à cinq mois au plus fort de la crise. »
Dans l’édition, celle-ci a atteint son paroxysme entre la rentrée 2021 et le printemps 2022 et a été alimentée par une multitude de facteurs conjoncturels : grève de plusieurs mois chez le finlandais UPM (le numéro un mondial du papier), hausse des prix de l’énergie, du transport et d’une flopée de matières premières avec le début de la guerre en Ukraine, surcommandes d’éditeurs français enthousiastes après une année 2021 historiquement haute pour le secteur…
« Une nouvelle économie du papier »
« Depuis plusieurs mois, on assiste au phénomène inverse dans l’édition avec l’atterrissage du marché du livre. De nombreux éditeurs sont en phase de déstockage », constate Paul-Antoine Lacour, délégué général de la Copacel, la confédération des industriels français du papier.
Résultat, une détente est aussi à l’oeuvre sur les prix. Sur un an, les tarifs ont baissé, en moyenne, de près de 10 % pour les différentes typologies de papiers commandés par les éditeurs, selon plusieurs sources. Ce qui n’empêche pas les prix de rester supérieur de 30 % par rapport au milieu de l’année 2020.
« Pour le papier ‘bouffant’ permettant d’imprimer des livres de littérature générale, le prix à la kilotonne tourne autour d’une ligne de flottaison de 800 euros, contre 900 euros au pic des tensions et 600 euros il y a trois ans », illustre Christian Toanen qui ne croit pas à un retour au niveau pré-covid. « Il y a une nouvelle économie du papier et nous l’intégrons dans nos comptes d’exploitation prévisionnels. Je m’attends à ce que les prix augmentent de 1 % à 3 % tous les ans lors des prochains exercices et à plus long terme, rien ne dit que l’on n’aura pas une nouvelle crise du papier », confie le directeur de fabrication.
Recul de la consommation de papiers graphiques
La raison ? Si certains soubassements conjoncturels ayant soutenu la hausse du prix du papier utilisé par le monde de l’édition ne sont plus ou se sont atténués – même si l’incertitude plane toujours sur les prix de l’énergie -, la situation structurelle et sa lame de fond demeurent. La consommation de papier en France est ainsi sur une tendance baissière depuis de nombreuses années et une flopée d’usines ont fermé boutique.
Et parmi les papetiers restants, de plus en plus délaissent le créneau des papiers dits « graphiques » (l’édition, la presse, la publicité), au bénéfice de la fabrique d’emballages. « C’est une activité plus rentable et en plein essor avec le boom de l’e-commerce et des livraisons, note Paul-Antoine Lacour. A contrario, la consommation de papiers graphiques recule de 2 % à 3 % par an depuis deux décennies et ne représente plus que 20 % du marché du papier et du carton en France. »
Hausse des prix du livre
Avec 206.000 tonnes de papiers utilisées en 2021, selon la Copacel, l’industrie du livre demeure à un niveau stable de consommation. Mais celle-ci ne pèse que 8,6 % au sein du segment des papiers graphiques, tiré à la baisse par la diminution d’activité de la consommation papier de la presse et de la publicité. En corollaire, de moins en moins d’industriels sont prêts à se battre pour cette poche de marché. Ce qui renforce d’autant le pouvoir de négociation des papetiers conservant des machines dédiées.
« Pour contenir l’augmentation de nos coûts liés à la hausse des prix du papier de l’impression et des transports, il va falloir que l’on trouve des gains ailleurs, comme rationaliser nos commandes en production, diminuer les taux de retour et améliorer la logistique pour limiter le volume d’ouvrages défectueux lors de ces mêmes retours », énumère Pascal Lenoir, président de la commission Environnement du Syndicat national de l’édition et directeur de la production chez Gallimard.
A l’autre bout de la chaîne, les lecteurs voient aussi le prix des livres augmenter. Lors des huit premiers mois de 2023, les tarifs des ouvrages ont grimpé de 3,9 % par rapport à la même période l’année précédente, selon le Syndicat de la librairie française. Une hausse contenue après des années de stabilité du prix des livres, mais pas sûr que celle-ci en soit arrivée à son point final.
Lire : Les Echos du 4 septembre