Travailleurs, syndicats et écologistes sont soulagés. Près de Rouen, la Chapelle Darblay, le dernier site français à même de fabriquer du papier journal et d’emballage 100 % recyclé, est en passe d’être sauvée.
« On va réussir à la redémarrer, cette putain d’usine ! » Ce cri du cœur est celui de Cyril Briffault, délégué syndical CGT au sein du site UPM Chapelle Darblay de Grand-Couronne, près de Rouen (Seine-Maritime). Il se bat depuis plusieurs années pour la survie du dernier site français à même de fabriquer du papier journal et d’emballage 100 % recyclé. Au téléphone avec Reporterre, il évoque son « espoir » après le rachat de l’usine mardi 1ᵉʳ mars. Celle-ci avait été fermée en 2020 après quatre-vingt-dix années de fabrication de papier journal.
Le 11 février dernier, l’horizon s’est éclairci pour les défenseurs de l’usine. Agissant par délégation de la commune de Grand-Couronne, le président socialiste de la Métropole de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, annonçait la préemption du site, estimée à environ 6 millions d’euros. En achetant le site, l’intercommunalité évite son rachat par le groupe Samfi-Paprec, qui souhaitait produire de l’hydrogène et ne comptait pas préserver l’activité initiale de l’usine. Ce projet « aurait écarté l’activité de recyclage et de traitement in situ de papiers et de carton », indique la Métropole, dans un communiqué.
Moins d’un mois plus tard, une nouvelle étape a été franchie. Pour maintenir l’activité de recyclage papier-carton, les élus métropolitains ont voté à l’unanimité, mardi 1ᵉʳ mars, une enveloppe de 3,6 millions d’euros pour racheter les équipements de l’usine — machines, pièces de rechange, stocks…
L’intercommunalité espère réaliser une « opération blanche » en revendant l’ensemble, au même prix, à des industriels. Elle est en pourparlers avancés avec le consortium d’entreprises Veolia/Fibre excellence, qui « s’est porté candidat pour reprendre l’exploitation et prolonger le développement de l’usine en répondant pleinement aux enjeux industriels et environnementaux », précise la Métropole dans un communiqué. Ce consortium « créera une société de projet qui louera ses actifs à Veolia, énergéticien et recycleur de vieux papiers et cartons, et à Fibre excellence, papetier », poursuit-elle. Deux cents emplois « directs » pourraient être créés. L’opération pourrait se confirmer début mai, une fois passé un délai de recours de deux mois suivant le vote du conseil métropolitain.
« C’est un maillon essentiel de la chaîne du recyclage français qui est en passe d’être sauvé », se réjouit auprès de Reporterre Arnaud Dauxerre, représentant sans étiquette du collège des cadres au comité social et économique (CSE). Avant sa fermeture, la papeterie de Grand-Couronne était l’un des deux seuls débouchés français (avec la papeterie Norske Skog de Golbey, dans les Vosges) pour désencrer les vieux papiers — les journaux, les magazines, les brochures et les imprimés publicitaires.
« Une décision politique inédite courageuse de la Métropole »
Le site dispose d’une capacité de recyclage de 480 000 tonnes de déchets papier et carton par an, soit le résultat du tri de 24 millions d’habitants d’Île-de-France et d’un large secteur Grand Ouest. Cette matière première servait à produire, chaque année, 250 000 tonnes de papier journal 100 % recyclé. Mais depuis la fermeture, les papiers et cartons sont enfouis, brûlés ou envoyés en Belgique et en Allemagne, selon la Métropole. Si l’activité redémarre, l’usine pourra de nouveau produire du papier journal, mais aussi des cartons d’emballages ou de la ouate de cellulose (un isolant).
Les représentants des salariés de Chapelle Darblay saluent « une décision politique inédite courageuse de la Métropole », dit Cyril Briffault, alors que « les machines étaient à deux doigts d’être démontées » pour Arnaud Daguerre. « C’est le début de l’aboutissement d’une lutte de longue haleine », rappelle Julien Sénécal, secrétaire CGT qui se présente comme un « enfant de la Chapelle » — son grand-père et son père ont travaillé dans cette usine avant lui. Depuis l’annonce de la cession de la papeterie en septembre 2019 par le papetier finlandais United Paper Mills (UPM), les collectifs Sauvons la Chapelle-Darblay ! et Plus jamais ça ont mené plusieurs actions pour sauver l’usine.
Le 28 avril 2021, plus d’une centaine de personnes avaient notamment manifesté près du ministère de l’Économie. Après plus de sept heures d’occupation du port de la Rapée, elles avaient obtenu un engagement ferme du gouvernement à maintenir les activités de la papeterie.
« Si ce projet va au bout, ces salariés auront écrit l’une des plus belles pages de notre histoire sociale », a dit l’élu écologiste Jean-Michel Bérégovoy lors du conseil extraordinaire de la Métropole, mardi 1ᵉʳ mars, dans des propos relayés par le média 76actu. « Tant que le ruban ne sera pas coupé, nous ne crierons pas victoire », dit Julien Sénécal, sur ses gardes, malgré son rêve « de repartir avec une base d’anciens parmi les 217 salariés licenciés ». « Tout n’est pas joué, confirme Nicolas Mayer-Rossignol. Il reste encore beaucoup d’incertitudes et le chemin est long. Mais aujourd’hui marque une étape supplémentaire majeure dans notre lutte pour la préservation de Chapelle Darblay. »