En France, la fabrication du papier est un secteur dominé à 85 % par des entreprises étrangères. Quelques ETI françaises et de rares PME survivent dans une filière très capitalistique, secouée par la crise de l’énergie et des marchés qui évoluent.
En octobre, le tribunal de commerce d’Angoulême a prononcé la liquidation des Papeteries Saint-Michel, une entreprise de Charente spécialisée dans le « papier pour ondulé » (PPO) dont on fait les cartons d’emballage. C’était l’une des dernières PME en activité parmi 80 usines en activité dans une industrie lourde très largement dominée par des grands groupes étrangers. Les Suédois Alshtrom et Essity, le Belge VPK, l’Américain DS Smith, l’Espagnol Lecta et d’autres possèdent 85 % de la capacité de production dans l’Hexagone.
La papeterie industrielle, qui transforme du bois, de la cellulose ou des papiers recyclés et emploie 11.000 personnes en France, « est extrêmement capitalistique : en matériel, en entretien, en consommables, en énergie » explique Paul-Antoine Lacour, délégué général de l’union professionnelle Copacel. Saint-Michel, un petit opérateur avec 70.000 tonnes de capacité et 65 salariés, accusait un trou de 4 millions d’euros post-Covid . Sa facture mensuelle d’énergie a flambé en 2022, de 400.000 à 1,3 million d’euros.
« On a dû arrêter une ligne pour faire face, alors que la demande était pourtant revenue après la pandémie ». Mais la réduction d’activité ne permettait plus de couvrir les coûts fixes. « On n’avait plus de trésorerie, ni de possibilité d’emprunter, pour relancer la ligne arrêtée. On perdait trop d’argent », décrit le directeur général, Maxime Thiollet, résumant la spirale négative d’une PME précaire.
« La tête hors de l’eau »
Inversement, la papeterie Wizpaper, dans le Nord, a été relancée en 2019 par un imprimeur local, Henri Brébant, dans un site ArjoWiggins resté plusieurs années en friche. Une success story fragile. Elle produit le même « papier pour ondulé » à partir de papiers recyclés, adossée à un petit groupe familial de transformation : des cartons pour l’entreprise Ondulexpress et des emballages imprimés pour Express Packaging.
Si l’ensemble Be Paper fait 200 millions de chiffres d’affaires avec 500 salariés, son PDG, Damien Bridoux, admet que « la papeterie elle-même est déficitaire » : « C’est le modèle intégré [couvrant l’amont et l’aval, NDLR] qui nous permet de tenir la tête hors de l’eau ». Le même qui prévaut chez l’Alsacien Rossmann, leader européen indépendant du carton ondulé : 350.000 tonnes de PPO, le double en cartons transformés, pour 900 millions de chiffre d’affaires.
En dehors de l’énergie, chère pour tout le monde, la papeterie industrielle – une filière de 6 milliards d’euros – est traversée de vents contraires. « Le papier journal et tous les papiers graphiques reculent. Le papier d’emballage progresse, poussé par l’e-commerce et les choix alternatifs au plastique », explique Paul-Antoine Lacour.
Parmi les gagnants, le Landais Gascogne : le numéro un du papier kraft (150.000 tonnes produites à base de pâte vierge) vient de recevoir dans son usine de Mimizan le plus grand cylindre en acier au monde, pièce maîtresse de sa nouvelle machine – un investissement de 220 millions. Le groupe diversifié de 1.700 salariés et 460 millions de chiffre d’affaires en 2022, sauvé in extremis il y a dix ans, est également un modèle d’intégration, pratiquement depuis le pin sur pied jusqu’à la construction bois d’un côté et le sac en kraft de l’autre.
Autre ETI qui porte les couleurs tricolores, le groupe familial Clairefontaine (4.500 collaborateurs et 34 sites industriels pour 850 millions de revenus en 2023) défend ses papeteries de Mandeure (Doubs), Evergnicourt (Aisne) et Etival (Jura), son siège historique. Elles produisent 240.000 tonnes de papier pour ses gammes de bureautique, écriture, beaux-arts ou impression – a contrario de son concurrent en cahiers et agendas, Hamelin, groupe normand qui ne fait plus que de la transformation.
1 % de la production
« Les véritables PME ne sont plus qu’une demi-douzaine et représentent moins de 1 % de la production. Elles subsistent en jouant leurs atouts dans des catégories de niche », constate Paul-Antoine Lacour. Dans le luxe, Léon Martin (Ariège) et la papeterie de Montségur (Drôme) tirent leur épingle du jeu grâce aux emballages décoratifs – papier crêpé et « mousseline » pour la première, papier de soie pour la seconde. Mais le segment étroit de Lana, à Strasbourg, spécialisé dans les papiers d’art et de sécurité, ne l’a pas protégé de la liquidation l’an dernier. La fabrique quatre fois centenaire a fermé faut d’avoir pu réunir les capitaux suffisants pour se moderniser.
A Truyes, en Indre-et-Loire, Catherine Colbert, présidente de la Cartonnerie Oudin, dans sa famille depuis 1815, revendique « une stratégie de niche pour ne pas être avalée par la logique volume-prix qui prévaut dans notre industrie ». Pour ses 40.000 tonnes de cartons plats, elle cherche « de la valeur ajoutée avec des recettes, des tailles et des grammages adaptés à chaque client ».
La société de 100 salariés ne fabrique qu’à la commande pour des cartonneurs qui embelliront les feuilles vierges par des imprimés, gravures, dorures ou glaçages afin de fabriquer des coffrets de parfums ou de spiritueux. « On est à l’écoute du marché pour proposer des réponses innovantes en phase avec les besoins ». Des solutions qui portent loin, avec 40 % d’export .
Le franc-comtois Zuber-Rieder ne connaissait pas la crise : il est présent dans tous les vignobles du monde avec cinquante références de papier pour étiquettes à bouteilles (certains capables de résister 24 heures dans un seau à glace). C’est la difficulté de s’agrandir qui l’a poussé, avec l’aval de ses 130 salariés, à se jeter dans les bras de l’Italien Fedrigoni, champion du papier de luxe. De même, en Isère, les Papeteries de Vizille (30.000 tonnes) n’existeraient sans doute plus si elles n’appartenaient depuis 1984 au géant industriel local, le cimentier Vicat , son premier client pour conditionner dans des grands sacs les poudres minérales. Mais celles-ci sont restées françaises…
Lire : Les Echos du 21 octobre