Transcription, traduction, aide à la rédaction, la plupart des médias français utilisent l’IA générative, mais encore avec prudence. De France Télévisions à Prisma en passant par Reworld ou Ebra, tour d’horizon des initiatives.
« Précision : cet article est écrit par un humain. » Ce n’est sans doute pas tout de suite que l’on verra ce type de mention au début d’un papier. En tout cas, pas dans les médias traditionnels français. Mais cela peut changer…
Alors que ChatGPT, qui fête son premier anniversaire, avait suscité beaucoup de craintes sur la disparition programmée des journalistes, force est de constater que nombre de groupes utilisent les nouvelles technologies pour faire davantage.
De TF1 à France Télévisions, en passant par Radio France, du « Monde » à « L’Equipe », de Prisma à Ebra en passant par Reworld, tous se sont mis à l’IA générative façon ChatGPT. Et la tendance est mondiale : selon le récent rapport JournalismAI (London School of Economics/Google), 85 % de la centaine de médias dans le monde interrogés ont utilisé ces technologies à des degrés divers (pour générer des images, des brefs, des résumés, etc.).
Traduction, transcription…
C’est une (assez) vieille histoire puisque nombre de médias utilisaient déjà des robots pour produire des comptes rendus financiers, des résultats d’élections ville par ville… Mais avec l’IA générative et les outils de dernière génération, on est entré dans une autre dimension. ChatGPT et consorts ont permis de lancer de nouveaux services ou outils. « Il s’agit de faire avec l’IA ce qui n’aurait pas été possible avant », résume Jérôme Fenoglio, directeur du « Monde ».
Par exemple, le quotidien a lancé « Le Monde in English » avec une première traduction de DeepL, enrichi par des correcteurs et des journalistes anglophone. « Sans l’IA, il aurait été trop coûteux de traduire autant d’articles », explique-t-il, ajoutant que le groupe utilise aussi l’IA pour des versions audio des articles.
Chez Radio France, on utilise un outil pour détecter les « fake news » dans les discours, connecté à des bases de données pour le signaler aux journalistes. A la Maison ronde comme chez France Télévisions, l’IA est utilisée pour la transcription automatique des flux audio, permettant de rechercher plus facilement des éléments ou encore du sous-titrage. « On va beaucoup plus vite », résume Laurent Frisch, responsable du numérique de Radio France. « L’Equipe » réfléchit à utiliser l’IA pour faire des résumés de commentaires.
Dans les autres principaux cas d’usage, l’IA permet de personnaliser davantage les contenus et d’anticiper des tendances. « On a la possibilité de passer d’un éclairage universel à un suivi éditorial sur mesure », explique Pascale Socquet, directrice générale de Prisma Media ( « Capital », « Télé-Loisirs »…) citant par exemple les articles sur le patrimoine qui peuvent être adaptés selon les profils de lecteurs. Chez Reworld (Doctissimo, Marmiton, « Science et Vie », etc.), l’IA est utilisée pour prédire les audiences en analysant notamment les réseaux sociaux pour organiser la mise en ligne d’articles à différents moments. Dans certains journaux, l’IA conçoit des newsletters.
Vers un « journalisme augmenté »
Qu’en est-il de la vraie création de contenu ? A l’étranger, plusieurs initiatives avaient beaucoup inquiété. L’allemand Axel Springer (« Bild ») avait annoncé la suppression de postes au profit de l’IA. BuzzFeed s’est mis à générer des quiz par IA – et même certains articles, à en croire le média Futurism.
Toutefois, le site CNET, qui avait publié des papiers générés par IA, aurait été obligé de faire marche arrière, selon la presse américaine, compte tenu notamment d’erreurs et d’incohérences. Et, en France, les initiatives semblent encore limitées. « Pour l’heure, l’IA ne nous semble pas satisfaisante pour faire des quiz, par exemple. Elle a tendance à uniformiser les contenus, or il faut de la créativité pour se distinguer », indique Jérémy Parola, directeur des activités numériques de Reworld.
Cependant, l’IA commence doucement à faire son chemin comme aide à la rédaction et à la recherche d’idées et d’informations. « Je pousse les journalistes à utiliser ChatGPT comme ils utilisent Google, à condition de pouvoir signer leur papier et de l’assumer », disait Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, à Médias en Seine.
Lors de ce même festival, Ben Smith (ex-rédacteur en chef de BuzzFeed, co-créateur de Semafor) a fait une réflexion provocante en disant qu’il n’avait rien contre la rédaction de premières versions d’articles par ChatGPT car la qualité d’écriture journalistique est une « compétence surévaluée ». Selon lui, cela peut dégager du temps pour que les journalistes reviennent aux sources : la recherche d’information.
« On va vers un journalisme augmenté. L’IA peut aider sur des tâches à faible valeur ajoutée pour se concentrer sur la génération d’idées, d’angles », explique Pascale Socquet, qui est en train de former tous ses journalismes aux nouvelles technologies. Le groupe, qui avait déjà une IA dans l’immobilier, teste ainsi des diaporamas de cuisine ou la génération de titres pour améliorer le référencement.
Pendant ce temps, le recours à l’IA pour de courts papiers se généralise. Ainsi, « L’Equipe » a mis en place des comptes rendus de matchs de tennis, tandis que « Le Monde » réfléchit à utiliser des technologies pour faciliter le travail des « deskeurs ». Canal+ fait des résumés de certains programmes et Reworld utilise l’IA dans des comparatifs de produits.
Fortes résistances
Il existe de fortes résistances. En témoignent les protestations des salariés d’Ebra (« L’Est Républicain ») à l’annonce de l’expérimentation de l’utilisation de l’IA pour relire certains papiers.
Et surtout, un peu partout, des garde-fous se développent. Le groupe « Les Echos – Le Parisien » a été l’un des premiers à mettre en place une charte. « Le Monde » va inclure des principes sur l’IA (pas de création totalement par l’IA de textes ou de photos, de la transparence, etc.) dans sa charte de déontologie et « Le Figaro » va publier un document sur ce sujet.
L’idée générale : les robots ne doivent pas remplacer les journalistes. « L’IA va permettre de faire plus de choses, pas de réduire les rédactions, conclut Jérôme Fenoglio. Cela me rappelle la révolution numérique où certains pensaient que tout le monde pouvait être journaliste et que le contenu serait totalement gratuit… Ça n’a pas marché. »
Lire : Les Echos du 6 décembre