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Hachette-Editis : la méga-fusion de l’édition va se cogner contre l’antitrust

Lundi, Vivendi a lancé son OPA sur le groupe Lagardère. Le premier est aujourd’hui propriétaire d’Editis et le second d’Hachette, les deux poids lourds du marché français de l’édition. Gros plan sur une méga-fusion qui agite le secteur et sur laquelle va se pencher l’antitrust à Bruxelles.

C’est sans doute la seule certitude de ce dossier brûlant : la fusion Editis-Hachette ne se fera pas en l’état. Vincent Bolloré l’a reconnu lui-même, mi-janvier, lors de son audition par la commission des Affaires culturelles du Sénat : « Un géant Hachette-Editis, cela n’arrivera pas en France sans mesures prises car leur taille est trop importante. »

Très franco-française cette méga-opération va être visée par l’antitrust à Bruxelles. « Juridiquement, aucun texte n’indique un seuil de concentration à ne pas dépasser en cas de fusion-acquisition. Mais la doctrine en Europe, c’est qu’à partir de 40 % de part de marché cumulée sur un secteur ou un segment de marché, il y a présomption de position dominante », décrypte un expert des questions anticoncurrentielles.

Dans le détail, Hachette et Editis sont les numéros un et deux français de l’édition et de la diffusion avec 45 % de part de marché global en 2021. Sur certains segments, celle-ci dépasse parfois 50 % et même 60 %. Des seuils de concentration qui vont plus haut en intégrant l’aspect distribution – nerf de la guerre et de la rentabilité dans le secteur – des deux géants qui sont en contrat avec une flopée d’éditeurs tiers via leurs filiales Hachette Distribution et Interforum. Sur la BD, leur part de marché cumulée dans l’édition et la diffusion a ainsi été de 23 % en 2021, mais grimpe à 67 % en incluant leurs rôles de distributeurs.

« D’énormes effets congloméraux »

« La question de la distribution est le point focal de cette fusion car ce sont les deux structures les plus puissantes de l’industrie en ce qui concerne l’accès au marché – c’est-à-dire aux librairies, aux supermarchés… » note Vincent Montagne, patron de Média-Participations (Dargaud, La Martinière/Le Seuil), quatrième acteur français derrière Madrigall (Gallimard, Flammarion). « Sur le troisième niveau [les petits points de ventes comme les Maisons de la Presse, NDLR], leur part de marché cumulée se monterait même à 100 %. » En clair, une fusion intégrale allouerait au groupe consolidé Hachette-Editis une capacité de négociations hors normes à l’encontre de tous les points de ventes.

« Le rapport de force est compliqué avec les équipes commerciales de l’un et l’autre, notamment au niveau des remises commerciales [le prix auquel le libraire achète le livre au distributeur, NDLR], où ils sont déjà moins-disants par rapport à leurs rivaux. On n’ose imaginer le rouleau compresseur que serait un ensemble Editis-Hachette », fait valoir Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française qui craint aussi les ramifications.

« Cela créerait d’énormes effets congloméraux. Le groupe consolidé aurait la capacité d’attirer des auteurs à succès en leur promettant des opérations marketing dans leurs propres médias ainsi que de gros à-valoir grâce à la superficie financière dont il disposerait. Ce qui assécherait considérablement les petits éditeurs », poursuit-il. Et par là même la diversité éditoriale, ainsi que les auteurs moins capés et/ou « bankables ».

Tenter d’élargir le marché pertinent

Aux Etats-Unis, le département américain de la Justice a d’ailleurs lancé, en novembre, une procédure judiciaire visant à bloquer la méga-acquisition à 2,18 milliards de dollars de Simon & Schuster par Penguin Random House (Bertelsmann) en soulignant en rouge vif ce risque : « Après la fusion, ces deux immenses éditeurs contrôleront plus de deux tiers de ce marché, laissant des centaines d’auteurs avec moins d’alternatives. […] Les auteurs et les consommateurs américains paieront le prix de cette fusion anticoncurrentielle. » Aux Etats-Unis, les deux groupes sont respectivement numéro un et quatre du secteur.

Seuls angles d’attaques pour Vivendi : invoquer la guerre de l’attention avec les autres secteurs du divertissement pour tenter de redéfinir et d’élargir le marché pertinent, tout en s’auto-minimisant par rapport aux Gafam comme l’a fait récemment Vincent Bolloré, qualifiant Vivendi de « nain ».

« Mais l’argument de dire : ‘on crée un champion européen de l’édition’ n’est pas tenable puisqu’Editis est principalement axé sur le marché français », fait valoir Jean-Luc Treutenaere, président du Syndicat des distributeurs de loisirs culturels regroupant notamment les enseignes Cultura et Le Furet du Nord. « Et Vivendi ne peut pas évoquer non plus le danger Amazon en France, puisque cela ne représente, approximativement, qu’un peu plus d’une vente sur dix, alors qu’aux Etats-Unis cela se monte à 50 % du marché. » Pour que le gendarme bruxellois de la concurrence donne son feu vert à l’opération Editis-Hachette, Vivendi va devoir lui présenter des « remèdes » anticoncurrentiels de bon aloi.

 

Lire : Les Echos du 21 février

 

Jean-Philippe Behr

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