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Grève à « France-Soir »

Dernier épisode d’un lent déclin

 

En grève depuis le 30 août, les quatre journalistes du site d’actualité, héritier du grand quotidien de Pierre Lazareff, craignent de devoir se transformer en communicants.

 

Le mythique quotidien populaire d’après-guerre France-Soir, passé de main en main ces dernières décennies, vit aujourd’hui une énième crise. Depuis trois semaines, les quatre journalistes titulaires sont en grève et n’alimentent plus leur site d’information en continu, dernier héritier d’un journal à grand tirage en passe de s’effacer du journalisme.

 

Car, malgré la série de reprises et de relances, France-Soir n’a pas su se rétablir dans le paysage journalistique français qu’il avait tant dominé. Depuis quelques années, il est aux mains de financiers dont les projets restent flous, alors que la poignée de journalistes toujours en place souhaite continuer à faire vivre le journalisme sous ce titre emblématique.

La lente chute d’un quotidien mythique

 

France-Soir était le grand journal populaire de l’après-guerre. Issu de feuilles de la Résistance, il est rapidement dirigé par Pierre Lazareff. Arrivée des Etats-Unis, cette figure tutélaire du journalisme impose les gros titres et les photos-chocs, ramène une armée de reporters et de grandes plumes. Avec six éditions par jour dans les années 1950, ses tirages atteignent un million d’exemplaires quotidiens et, au lendemain de la mort du général de Gaulle, en 1970, le journal vend plus de deux millions d’exemplaires.

 

Quand Robert Hersant rachète le titre en 1976, quatre-vingts journalistes quittent la rédaction

 

Deux ans plus tard, la mort de son patron emblématique marque le début d’un lent déclin. Le journal populaire que proposait Lazareff doit faire face à la télévision et, rapidement, aux radios libres. Le marché se réduit, le tirage avec. Quand Robert Hersant, qui gère déjà Le Figaro, rachète le titre en 1976, quatre-vingts journalistes quittent la rédaction en faisant valoir la clause de conscience. Les tirages baissent et, en 1999, le groupe Hersant, endetté, doit céder le journal. Exsangue, celui-ci est alors ballotté entre une série d’hommes d’affaires qui le rachètent successivement.

 

Le dernier d’entre eux sera Alexandre Pougatchev, fils d’un oligarque réputé proche du Kremlin. Le Russe arrive en 2009 avec une ambition folle et les poches pleines. « Il nous installe sur les Champs-Elysées, débauche une demi-douzaine de rédacteurs en chef du Parisien et toute une équipe de signatures pour lancer une nouvelle formule », se souvient un journaliste de l’époque. « Il voulait en faire un journal populaire, installer le papier de manière durable. »

 

En deux ans, l’homme d’affaires investit près de 70 millions d’euros. A perte. Après une année à près de 60 000 exemplaires vendus par jour, les ventes chutent, et Alexandre Pougatchev décide d’arrêter le papier, signant ainsi l’arrêt de mort du journal de Pierre Lazareff.

 

L’investisseur russe poursuit l’aventure sur Internet avec un tiers des effectifs, soit moins de cinquante personnes. Mais toujours pas d’audiences suffisantes pour Francesoir.fr. Six mois plus tard, c’est le redressement judiciaire, ses archives sont dispersées aux enchères. France-Soir, qui n’était déjà plus que l’ombre de lui-même depuis des décennies, est condamné à disparaître.

Des conditions de travail difficiles

 

Mais, autre rebondissement, certains investisseurs considèrent que le nom a encore une valeur. A la fin de 2012, un financier, Philippe Mendil, rachète ce qui reste du titre et lance un magazine hebdomadaire payant uniquement accessible sur iPad, avec cinq journalistes pour une soixantaine de pages. Nouvelle relance, nouvel échec, et en 2014 l’entreprise est finalement rachetée par Xavier Azalbert, un autre entrepreneur. Il transforme l’« e-mag » en un site gratuit d’actualité en continu, alimenté essentiellement par des reprises de dépêches AFP – c’est la version d’aujourd’hui.

 

Pendant plus d’un an, les salariés se voient prélever sur leurs salaires une mutuelle qui n’existe pas

 

Pas facile de se démarquer. Si les journalistes reconnaissent à l’unisson la liberté éditoriale totale dont ils disposent, les conditions de travail génèrent un mal-être massif. Pendant plus d’un an, les salariés se voient prélever sur leurs salaires une mutuelle qui, faute d’être payée par l’employeur, n’existe pas. Les salaires sont faibles, encore plus pour les femmes.

 

Une jeune journaliste, arrivée en stage et qui signe rapidement un CDI, a démissionné cet été. « Ça se passait très mal. Il y avait beaucoup de tension avec la direction ces derniers mois, certains jours, cela devenait impossible de travailler. » Fière de son travail, elle soutient « évidemment » ses ex-collègues en grève. « Cette situation me rend triste. Nous ne savions pas où nous allions, et c’est toujours le cas. »

Journalisme ou communication ?

 

Aujourd’hui, la première revendication des grévistes reste l’application de la convention collective des journalistes, ce qui leur permettrait, par exemple, de bénéficier d’un 13e mois. « La direction nous dit qu’on n’est pas journalistes, alors que le directeur signe nos demandes de cartes de presse ! », dit en s’étranglant un salarié gréviste, qui préfère témoigner anonymement. Contacté, le groupe France-Soir, qui édite le site Internet, n’a pas répondu à nos sollicitations.

 

« Plus largement, on demande un vrai dialogue social, plutôt qu’une direction qui reporte tout à demain », précise le même témoin. Le journaliste rapporte que, lors d’une réunion avec la direction, Xavier Azalbert, le directeur, a menacé de procéder à des licenciements économiques s’il n’y avait pas une reprise du travail. Les salariés attendent également que leur soit payée l’intégralité de leur salaire d’août.

 

Mais avant tout les quatre journalistes grévistes veulent savoir ce que leur réserve l’avenir. Car si Xavier Azalbert a réussi à lever, en début d’année, près de 2 millions d’euros, ils ne savent toujours pas quelle sera leur place en tant que journalistes dans le nouveau projet. « On demande des garanties pour séparer clairement journalisme et communication », répète l’un des grévistes. Afin d’éviter, peut-être, une nouvelle mort du journal de Pierre Lazareff.

 

Lire : Le Monde du 20 septembre

 

Jean-Philippe Behr

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