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Gaspillage publicitaire : test grandeur nature pour le dispositif « Oui Pub »

Inspiré par les propositions de la convention citoyenne, ce mécanisme est issu de la loi Climat et Résilience. En tout, 14 zones territoriales (la ville de Bordeaux, la métropole du grand Nancy…) se sont portées volontaires pour tester « Oui Pub » pendant trois ans. Une expérimentation redoutée par les acteurs de la distribution publicitaire craignant des conséquences économiques.

L’heure du test à grande échelle a sonné pour « Oui Pub », un dispositif visant à lutter contre le gaspillage publicitaire en interdisant aux annonceurs d’envoyer des prospectus promotionnels et autres catalogues dans les boîtes aux lettres des consommateurs, à moins que ces derniers aient apposé un sticker « Oui Pub » sur celles-ci.

Inspiré par les propositions de la convention citoyenne, ce mécanisme est issu de la loi Climat et Résilience promulguée à l’été 2021. En tout, 14 zones territoriales (la ville de Bordeaux, la métropole du grand Nancy, la communauté de communes Vallée de l’Ubaye Serre-Ponçon…) se sont portées volontaires pour tester « Oui Pub » pendant trois ans.

« Nous avons près de 50 % de résidences secondaires dans une ville comme Barcelonnette avec des boîtes aux lettres qui débordent de publicités datées et obsolètes, souligne Yvan Bouguyon, vice-président chargé des finances et de l’environnement de la communauté de communes Vallée de l’Ubaye Serre-Ponçon où la population est démultipliée pendant la période estivale. Et cela a un impact sur la dépense publique puisque toutes ces publicités papiers sont loin d’être correctement recyclées. Or, le coût d’enfouissement des déchets est à la charge des collectivités. »

« L’« opt-in » de la boîte aux lettres »

En tout, ce test concerne 2,6 millions d’habitants, soit près de 3,6 % du parc national de boîtes aux lettres. Cette expérimentation va se dérouler sous la houlette de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) qui a été mandatée par le ministère de l’Ecologie pour le pilotage et l’évaluation de ce dispositif qui va remplacer « Stop Pub » [les consommateurs ne voulant pas recevoir de publicités doivent le signaler sur leur boîte aux lettres, NDLR] sur les territoires en question.

« Cela faisait plusieurs années que ‘Stop Pub’ plafonnait à moins de 20 % de taux d’apposition. Or, le modèle actuel de distribution des imprimés publicitaires sans adresse incite au gaspillage car beaucoup de gens qui ne lisent pas la publicité continuent d’en recevoir. Ce qui représente 894.000 tonnes d’imprimés à l’année, expose Pierre Galio, chef du service consommation responsable de l’Ademe. Avec ‘Oui Pub’, l’idée est d’inverser la logique : ceux qui sont intéressés pour continuer à en recevoir devront le signaler. »

« C’est l »opt-in’ de la boîte aux lettres », compare Damien de Foucault, directeur général de l’Udecam (Union des entreprises de conseil et d’achat média). « Ce test est une démarche saine puisque cela peut déboucher sur une publicité plus responsable, sur le plan écologique, mais qui est aussi consentie et voulue par le consommateur. Mais il ne faut pas que pas cela vienne chambouler l’équilibre économique de ce marché publicitaire. »

Un marché à plusieurs milliards

D’autant que celui-ci est loin d’être négligeable. « En 2021, les imprimés sans adresse et les courriers adressés ont représenté près de 4,4 milliards d’euros en matière de fabrication et de distribution », contextualise Xavier Guillon, directeur général de France Pub.

Pour les annonceurs comme les acteurs (imprimeurs, distributeurs publicitaires) de ce pan du marché publicitaire, l’inconnue est grande concernant le taux d’apposition à venir sur les boîtes aux lettres, même si des grandes tendances ont déjà été établies. « En 2021, un quart des Français était totalement réfractaire à ce type de publicité et un autre trouve cela inutile. Une petite moitié les trouve donc utile, voire très utile », constate Xavier Guillon, s’appuyant sur le baromètre Consommateurs dressé par France Pub.

Concrètement, les premiers effets de « Oui Pub » se sont fait ressentir lors du premier lundi de septembre ; la mise en oeuvre du dispositif est entrée en vigueur le jeudi 1er septembre pour les 11 premiers territoires testés, mais le dispositif est réellement fonctionnel à compter de cette semaine dans la mesure où les deux principaux distributeurs publicitaires – Mediapost et Adrexo cumulent plus de 90 % de parts de marché – effectuent leurs tournées du lundi au mercredi.

Un manque à gagner

« Pour l’heure, le chiffre d’affaires sur les zones en test est en baisse de 80 % car beaucoup de nos donneurs d’ordres, n’ayant aucune visibilité sur le volume de ‘Oui Pub’ qui va être apposé sur les boîtes aux lettres, ont mis leurs investissements publicitaires en pause. Il n’y a pas eu assez de communication au sujet de ce dispositif », estime Eric Paumier, président du Syndicat de la distribution directe qui évalue que 800 emplois (400 en équivalent temps plein) sont en jeu, sur les zones testées, sur les 30.000 postes (15.000 en équivalent temps plein) que compte le marché national de la distribution d’imprimés publicitaires.

« L’inflation des prix du papier explique aussi cette prudence des annonceurs sur les zones testées », précise Sylvain Bedoni, responsable du pôle Catalogue chez l’agence CoSpirit. « ‘Oui Pub’ va pénaliser les foyers les plus modestes car 60 % de ce qu’on distribue est du contenu sur des produits alimentaires et de première nécessité et ces ménages font leurs courses avec les promotions et les catalogues, leur permettant de comparer les prix, qu’ils reçoivent dans leurs boîtes aux lettres », avance Eric Paumier. « Plus on s’éloigne des centres urbains, plus les foyers sont modestes, plus ce type de publicité est apprécié, ajoute Xavier Guillon. Et elle n’est pas substituable par un autre format. »

« Le transfert de pollution sera pris en compte »

Reste que les annonceurs, tout particulièrement les grandes et moyennes surfaces, ne vont pas rester sans rien faire, au risque de perdre une partie de leur clientèle. « A l’issue de ce test, il faudra prendre en compte tous les paramètres car les annonceurs qui vont renoncer à ces formats de communication sur les zones concernées vont activer des leviers alternatifs, dont la publicité digitale qui est aussi énergivore », note Damien de Foucault.

« Ce transfert de pollution sera pris en compte. Nous allons aussi évaluer la satisfaction des consommateurs et le ministère de l’Ecologie se chargera lui des questions économiques et sociales avant que le Parlement ne décide si ‘Oui Pub’ doit être étendu, ou non, à l’ensemble du territoire après 2025, fait valoir Pierre Galio. L’idée n’est pas d’arrêter totalement la distribution de prospectus dans les boîtes aux lettres mais de réguler cela pour faire en sorte que seuls ceux qui sont lus soient imprimés et distribués. C’est le sens de l’histoire. Ikea s’est déjà engagé dans une démarche zéro papier et Carrefour a commencé à lancer des initiatives locales. »

 

Lire : Les Echos du 5 septembre

 

Jean-Philippe Behr

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