C’est une des grandes nouveautés de l’année 2023. La Poste va arrêter de vendre les timbres rouges, qui permettaient d’envoyer des lettres urgentes. À la place, une e-Lettre rouge, 100 % numérisée. Une solution « hybride », plus écologique, selon l’entreprise. Mais qui pose des questions pour les personnes en situation de fracture numérique, et sur la confidentialité des courriers envoyés par La Poste.
C’est une page qui se tourne. Dès le 1er janvier 2023, la Poste met fin au timbre rouge, qui permettait d’affranchir un pli pour une distribution le lendemain. Le service est remplacé par l’e-Lettre rouge, un courrier dématérialisé. « C’est le courrier prioritaire de 2023 : hybride et plus écologique car évitant de nombreux trajets en camion et en avion », assure l’entreprise postale. Mais, concrètement, comment ça marche ?
« L’idée est… plutôt simple, grimace une employée de La Poste. Si vous voulez envoyer un courrier prioritaire à quelqu’un, vous devrez désormais le taper sur le site internet de l’entreprise, ou le numériser puis le joindre en PDF. »
La lettre sera ensuite transmise à la Poste la plus proche du destinataire. « Là, un postier imprimera le courrier et le mettra sous plis. » Plus question, donc, d’envoyer par ce biais un chèque ou une feuille de soins à la Sécurité sociale.
Un problème de fracture numérique
La lettre prioritaire totalement dématérialisée possède des avantages certains pour l’entreprise. Elle lui permet notamment d’abandonner les liaisons aériennes, et donc de réduire son empreinte carbone. Mais, selon une étude de l’Insee publiée fin 2019, 8 millions de personnes sont encore privées d’équipements informatiques à domicile, et plus d’un tiers des usagers d’Internet manquent des connaissances de base.
Pour Jean-Philippe Desigaux, délégué syndical FO, ces e-Lettres vont surtout élargir la fracture numérique. « Les personnes qui ont du mal avec un ordinateur vont éprouver de nombreuses difficultés à suivre le véritable parcours du combattant que La Poste a créé avec la e-Lettre », estime-t-il.
L’entreprise se veut rassurante, en expliquant que tous les bureaux de poste permettront de numériser les courriers. « Une promesse qui reste à vérifier », explique Alain Bard, administrateur CGT au sein du conseil d’administration de La Poste. « Et, contrairement aux boîtes jaunes qui se trouvent dans chaque commune de France, les agences sont beaucoup plus espacées. Il sera donc bien plus compliqué pour ces personnes de pouvoir poster leurs courriers », soupire-t-il.
« Et, pour les personnes à l’aise avec Internet, je ne vois pas vraiment la différence avec l’envoi d’un mail, sauf le prix (1,49 €) », indique un employé de La Poste.
Les employés photographieront les lettres avec leurs téléphones
Selon une employée de La Poste, le dispositif pour venir en aide aux personnes manquant d’équipement ou mal à l’aise avec l’informatique est encore flou, et devrait être précisé dans les prochaines semaines. « Mais nous devrions tous être équipés de téléphones professionnels, estime-t-elle. Avec ces derniers, nous pourrons prendre une photo des courriers prioritaires, avant de les envoyer dans le serveur de La Poste. »
Une photo qui fait tiquer. Qu’en est-il du secret de la correspondance, inscrit dans l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui assure le maintien du caractère privé et secret des correspondances ?
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Oui, les postiers auront donc le nez dans vos courriers, et pourront lire vos écritures. Mais La Poste rappelle que « les personnels travaillant dans l’entreprise doivent prêter serment à leur entrée en fonction ». Un serment professionnel, signé par l’agent, qui stipule que ce dernier s’engage notamment à « respecter scrupuleusement les informations concernant la vie privée dont il aurait connaissance dans l’exécution de son service ».
Ce serment était autrefois pris devant le tribunal par chaque employé de La Poste. « C’était quelque chose », affirme une employée de l’entreprise. Aujourd’hui, les intérimaires et les CDD, « qui pourront également assurer la photographie des courriers personnels, prêtent serment devant le directeur local de La Poste », nous explique-t-elle.
Une « rematérialisation » dans des espaces sécurisés
La Poste précise également que les courriers seront « rematérialisés », imprimés donc, dans « des espaces avec accès sécurisés et restreints aux personnes dûment habilitées et formées ». Là encore, plusieurs employés de La Poste doutent de l’endroit où seront installés ces fameux espaces.
« Ils doivent être installés dans certaines Plateformes industrielles du courrier (Pic) », explique Alain Bard, administrateur CGT au sein du conseil d’administration de La Poste. Mais, en Loire-Atlantique, les responsables CGT semblent certains que ce sera dans les bureaux de postes locaux… Et en Isère « l’espace sécurisé est prévu pour le mois de mars », explique Jean-Philippe Desigaux, délégué départemental FO.
Bref, le grand flou… « Ce n’est pas la première fois que ça arrive à La Poste, souligne Éric Barre, délégué syndical CGT. Mais ça montre bien l’impréparation du sujet. »
Les professions qui utilisaient régulièrement le service, comme les avocats, estiment aujourd’hui ne plus pouvoir s’y fier. « Et nous recevons fréquemment des personnes qui nous posent cette question », affirme Éric Barré.
La crainte du piratage
Et, avec son nouveau service, La Poste fait prendre des risques aux courriers de ses usagers. Le scan de la e-Lettre rouge étant archivé un an dans les data centers sécurisés du groupe, en France, « en conformité avec les règles européennes RGPD », explique l’entreprise, ils pourront être pris pour cible par des hackeurs.
Pour rappel, La Poste mobile a été victime, le 4 juillet 2022, « d’un virus malveillant de type rançongiciel ». Les auteurs de la cyberattaque l’ont revendiqué sur le Darknet, et ont fait fuiter des informations confidentielles pour obtenir une rançon du groupe.
La fin du courrier prioritaire
Pour les personnes qui seraient réticentes à utiliser cette e-Lettre rouge qui a tout d’une usine à gaz pour l’utilisateur comme pour l’entreprise, il reste la lettre verte, affirme La Poste. « Ce courrier, distribué trois jours après son affranchissement, peut être utilisé, par exemple, pour l’envoi d’une feuille de soins à la Sécurité sociale. »
Et si vous voulez, malgré tout, envoyer un courrier qui préserve à la fois la confidentialité et qui arrive tout de même avant trois jours, La Poste propose un nouveau service, la Lettre service Plus, conçue « pour les envois les plus importants nécessitant un suivi, comme l’envoi d’un chèque ou de petites marchandises par exemple. »
Ce courrier est distribué deux jours après son affranchissement qui coûte 2,95 €. Il va donc deux fois moins vite qu’avant, mais coûte deux fois plus cher.
Lire : Ouest-France du 29 décembre