Cas de conscience. Pour s’informer tout en respectant la nature, vaut-il mieux cliquer sur un article ou ouvrir un journal papier ? La réponse est plus nuancée qu’il n’y paraît.
« Je prends la version numérique, c’est plus écologique ! » L’argument, brandi par des voix souvent jeunes au service abonnement des journaux, paraît imparable. Surgissent des images d’arbres à terre, de rotatives projetant de l’encre polluante, de camions sillonnant l’Hexagone… Alors que, en face, un simple clic fait apparaître un article de presse sur un smartphone, sans matérialité apparente et une infime culpabilité écologique.
L’impact écologique du numérique
Plus vert, forcément plus vert, le journal sur écran ? La rare étude sur « l’empreinte carbone du secteur de l’édition » remonte à 2012. Commandée par l’Association mondiale des journaux et des éditeurs de médias d’information (Wan-Ifra) et réalisée à partir de données suédoises et finlandaises, elle concluait étonnamment que la lecture d’un magazine sur support papier et son équivalent en ligne avaient des bilans carbone similaires, mais aussi très variables.
Plus un journal imprimé est lu et circule, moins il émet de CO2 au numéro, pour produire de l’information, être imprimé, distribué et recyclé. À l’inverse, la facture verte de sa version numérique grimpe en fonction du temps de lecture et de l’impression ou non des articles.
À défaut d’arbitrer le match, l’étude financée par la presse imprimée montre que la réponse est complexe et dépend de multiples facteurs (blanchiment du papier, durée d’utilisation des smartphones, etc.). Le journal papier, beaucoup plus consommateur d’énergie au stade de sa production, a l’avantage d’émettre une empreinte carbone unique. Une fois imprimé, il peut se conserver et se partager. À la différence de la presse numérique, où les articles téléchargés empruntent à chaque nouvelle lecture un réseau bien matériel de câbles et d’énergivores centres informatiques pour être acheminés jusqu’à nos ordinateurs, tablettes ou smartphones.
Ces terminaux, bourrés de technologie et gourmands en minerais rares, représentent jusqu’à 80 % de la facture verte du numérique, qui est responsable d’environ 4 % des émissions mondiales à effet de serre. Une part qui pourrait doubler d’ici à 2040.
Mesurer et comparer l’empreinte carbone
«Si l’on dispose d’une image claire des impacts du numérique au niveau global, il est très difficile de descendre avec précision à une échelle plus fine, car les réseaux numériques sont complexes et mondialisés. Et un smartphone sert à bien d’autres choses que lire un journal, souligne Éric Vidalenc (1), économiste à l’Agence de la transition écologique (Ademe). Alors que, en face, on a des filières qui connaissent bien leurs flux de matières et ressources. » Un « gros projet d’analyse et de comparaison des différents services numériques versus leur version matérielle ou analogique » est toutefois en cours à l’Ademe dans la perspective de l’arrivée de la 5G.
« La force de l’imprimé par rapport au numérique est que l’on sait mesurer son empreinte carbone », insiste Benoît Moreau, qui a développé une méthodologie pour la quantifier. Sa société Ecograph a ainsi calculé qu’un quotidien régional émettait au numéro, en moyenne, 200 grammes d’équivalent CO2 sur son cycle de vie, soit l’envoi d’une dizaine de courriels. De l’autre côté de l’Atlantique, une étude similaire a évalué l’impact sur l’environnement du National Geographic à 820 grammes d’équivalent CO2 par exemplaire, soit ce que parcourt une voiture sur trois kilomètres.
Comment la presse papier évolue
Disposer d’un outil de mesure permet aussi d’agir. C’est l’objectif de la « calculette carbone » développée par Ecograph pour le groupe Bayard (auquel appartient La Croix L’Hebdo), pressé par ses lecteurs de la presse jeunesse de montrer patte verte. « Cet instrument nous permet de comparer les pratiques ou de rapprocher les centres de production, relève Nicolas Mathieu, le directeur industriel du groupe de presse. Notre bilan carbone provient en grande partie de la production de l’imprimé. Mais beaucoup d’efforts ont été accomplis. La production papier, issue de forêts labellisées, contribue davantage à développer les forêts qu’à les détruire. La plupart des papetiers réutilisent une partie de l’eau. Le papier de La Croix quotidien vient ainsi de l’usine vosgienne de Golbey (le papier de L’Hebdo, lui aussi, provient de forêts gérées durablement), mais des progrès restent à faire au niveau des transports, encore souvent au diesel », détaille-t-il.
La loi sur l’économie circulaire a par ailleurs programmé au 1er janvier 2022 l’interdiction du plastique emballant la presse et l’utilisation de certaines encres. Les éditeurs de presse, dont le groupe Bayard, travaillent à des solutions alternatives : blisters à partir de fibre de cellulose, suppression totale de l’emballage ou enveloppes papier (2). La loi a aussi fixé des objectifs de recyclage. « 95 % du papier d’un quotidien est déjà recyclé en moyenne sept fois, mais les magazines devront eux encore progresser », note Philippe Chantepie, coauteur d’un rapport sur la mise en œuvre de cette loi (3).
« L’imprimé comme le numérique doivent être plus sobres, mais la vraie question est celle de l’efficacité : quel mode d’information va le mieux vous faire lire ? », remarque Benoît Moreau, d’Ecograph. Acheter un journal papier, c’est aussi soutenir la chaîne de valeurs et les emplois au sein d’une filière. C’est également davantage contribuer à la viabilité économique d’un journal, l’essentiel des recettes d’un titre de presse provenant encore de l’imprimé.
(1) Pour une écologie numérique, Les petits matins, 14 €.
(2) Certains magazines de la presse jeunesse Bayard testent déjà ces enveloppes en papier.
(3) Coauteur, avec Alain Le Diberder, de Économie des industries culturelles, La Découverte, 10 €.
Lire : La Croix du 19 novembre