De plus en plus d’entreprises dématérialisent leurs documents. Pour elles, c’est un gage d’efficacité, mais aussi un enjeu stratégique. Pour autant, cette tendance signera-t-elle la fin du papier au travail ?
Le mouvement du “zéro papier” dans les organisations n’est pas nouveau : il est apparu dans les années 2000, face à l’essor de la RSE. À l’origine, les entreprises pionnières du “paperless” étaient donc soucieuses de leur empreinte écologique. Car l’impact environnemental est grand. Selon l’Ademe, un salarié utilise en moyenne 70 kg de papier par an, ce qui revient à rejeter dans l’atmosphère 25 kg d’équivalent CO2.(1) Les entreprises françaises produisent plus de 900 000 tonnes de déchets de papiers chaque année. Sachant qu’une tonne équivaut à la déforestation de 17 arbres.
Pendant 20 ans, le paperless est resté minoritaire. Aujourd’hui, toutefois, de plus en plus d’entreprises réduisent leur utilisation du papier. Moins pour des raisons écologiques que pour les avantages économiques de la dématérialisation.
Transformation digitale et dématérialisation
“Autrefois, ce concept était perçu comme une utopie. Mais la digitalisation des métiers l’a remis au goût du jour. L’enjeu est grand : réduire le papier, c’est réduire les coûts de traitement des documents, mais aussi fluidifier les process et être plus productif”, explique Étienne Vendeville, expert en transformation digitale au cabinet Wavestone.
Pour les entreprises, qui consacrent 2 % de leur chiffre d’affaires à gérer des documents papiers (selon Gartner Group), la dématérialisation “permet d’accélérer le business et de gagner en performance”, soutient Alex Mermod, CEO de Sell&Sign, qui conçoit des solutions de “signature électronique intelligente”. En matière de marque employeur, “cela motive les salariés, car le numérique est synonyme de modernité. Les bénéfices environnementaux potentiels contribuent aussi à donner une bonne image à l’entreprise”, ajoute-t-il.
Grâce à des ERP (progiciels de gestion intégrée), qui permettent de mutualiser les documents, Étienne Vendeville observe que nombre de grandes entreprises ont pu “briser les silos” et donner la possibilité à différents services de “partager des informations sans délais ni lourdeurs”.
Mais selon lui, il s’agit aussi d’une solution pour assurer la continuité de l’activité en cas de crise et accompagner le travail mobile : “On l’a vu pendant le confinement : afin de poursuivre leur business, les entreprises sont passées par le cloud. Plus globalement, avec le développement du télétravail, de plus en plus de salariés ont besoin d’accéder à des données à distance”.
Certaines entreprises, comme Microsoft ou le cabinet Deloitte, associent même le zéro papier à une réflexion sur l’espace de travail. Dans leurs locaux, ils ont mis en place une organisation en flex-office, qui permet de travailler de n’importe où, sans bureau attitré, avec des documents uniquement en ligne.
Les limites du zéro papier
Si la dématérialisation présente maints avantages, il existe toutefois quelques limites au zéro papier. À commencer par les freins culturels. Chez Sell&Sign, Alex Mermod constate une “résistance au changement” chez nombre de collaborateurs. “Certains ont des réticences à l’idée de changer leurs habitudes et de tout stocker en ligne. C’est ce frein qu’il sera le plus délicat de dépasser : les dirigeants, les managers et les RH devront faire preuve de psychologie”, explique-t-il. Aux cadres, donc, de faire la promotion, en finesse, de la dématérialisation et de ses avantages pratiques.
Mettre en avant la protection de l’environnement pourrait être un bon moyen de convaincre les salariés. “Mais est-ce un bon argument ? En réalité, l’empreinte carbone du numérique est non négligeable”, note Martin Parard, co-fondateur d’ADSI et ADSI Digital. Selon une étude de Veritas Technologies, 52 % des informations stockées en ligne par les entreprises sont inutilisées. Or, elles rejettent 6,4 millions de tonnes de CO2 par an.
Enfin, le zéro papier doit s’accompagner d’une réflexion plus globale. “Les entreprises ont-elles besoin de tout archiver ? Pour que le paperless soit vraiment utile, il faut que les documents puissent être accessibles à tous. Une telle ouverture demande de revoir son organisation en profondeur. Il s’agit d’un projet d’ampleur”, prévient Étienne Vendeville. “Le papier reste un format utile pour certaines tâches : seul, il est plus facile de lire un rapport imprimé que numérique. Ainsi, le format papier devrait demeurer longtemps présent dans les entreprises”, conclut Martin Parard.
Lire : Courrier Cadres du 19 octobre