L’Académie des sciences donne des recommandations sur leur usage, un sujet devenu polémique.
Six ans après la publication d’un avis controversé, l’Académie des sciences se penche à nouveau sur l’utilisation des écrans par les enfants. Dans un débat devenu électrique sur les risques de surexposition des tout-petits, l’institution présente mardi un avis qu’elle a élaboré avec l’Académie nationale de médecine et l’Académie des technologies. Présentées sous forme d’un «appel à la vigilance raisonnée», ces recommandations ont été nourries d’entretiens avec des experts. Elles sont destinées à «faire avancer la réflexion» plutôt qu’à trancher le débat, précise le Pr Jean-François Bach, immunologiste, membre de ce groupe de travail.
Lire Le Figaro du 9 avril, page 11
Fait nouveau, le document interpelle les parents sur les conséquences de leurs propres usages numériques sur les interactions avec leur enfant. «Même si ce n’est pas encore montré par des études scientifiques, on peut craindre que l’apprentissage de la communication non verbale (qui passe par les expressions du visage, la mélodie, le timbre de voix, etc.) soit plus pauvre en présence d’un adulte lorsque ce dernier est plongé sur son écran», souligne le Pr Bruno Falissard, psychiatre et coauteur de l’avis. Le rapport préconise donc un usage «raisonné» des écrans par les parents en présence de leur enfant.
Un risque accru d’obésité
Avant l’âge de 3 ans, l’avis recommande de ne pas laisser un enfant seul avec un écran, surtout ceux dont il peut lui-même contrôler l’utilisation comme les tablettes et les téléphones portables. Une «exception» peut être faite, selon les experts, pour un usage «récréatif» avec l’accompagnement «absolument indispensable» des parents. L’Académie des sciences a donc durci le ton par rapport à 2013: elle estimait alors que «les tablettes peuvent être utiles au développement sensori-moteur du jeune enfant». Un propos qui lui a été vivement reproché, même s’il était nuancé par des mises en garde sur le risque de détourner l’enfant d’autres activités essentielles à son développement.
Depuis lors, les écrans mobiles sont devenus omniprésents et les cris d’alarme se sont multipliés. «On observe chez les jeunes enfants un usage important et préoccupant des écrans (plusieurs heures par jour)», reconnaissent les experts. Mais les scientifiques peinent encore à mesurer l’impact de cette «surexposition» sur le développement cognitif. «S’agissant d’enfants qui passent jusqu’à six heures par jour devant un écran, il est difficile de faire la part des choses entre la possible nocivité intrinsèque des écrans et celle des pratiques inadaptées de parents qui permettent une telle exposition», remarque le Pr Bach. L’Académie appelle à poursuivre les recherches, estimant par ailleurs que la notion d’addiction est «difficilement applicable» à la fascination que certains tout-petits éprouvent devant un écran.
De 3 à 10 ans, un temps «dédié aux écrans» devrait être fixé pour «apprendre à l’enfant à attendre» et donc à s’autoréguler dans sa consommation. Le rapport déconseille aux parents d’acheter à leurs enfants tablettes, téléphones ou consoles portables, dont l’usage s’avère «difficile à réguler». Les «outils numériques familiaux devraient être la règle». Après 10 ans, comme à tous les âges, le dialogue doit primer mais il est essentiel que les parents soient vigilants face à de possibles signes d’isolement, pouvant conduire à un repli sur soi et à un fléchissement des résultats scolaires.
Un «document fondé sur un argument d’autorité pure»
Un adolescent sur trois affiche une dette de sommeil
Outre un risque accru d’obésité, l’impact des écrans sur le sommeil fait consensus, selon les experts. Ils notent que 89% des 13-19 ans ont aujourd’hui un smartphone. Celui-ci est allumé tout le temps, même la nuit, chez 60% d’entre eux. «Or l’utilisation des écrans en fin de journée perturbe l’horloge interne et retarde l’endormissement», indique le Pr Yvan Touitou, chronobiologiste. Conséquence: un adolescent sur trois affiche une dette de sommeil. Enfin, les enfants ne sont pas tous «égaux» devant les écrans, interpelle l’avis. Des contextes familiaux et socio-économiques précaires «peuvent rendre difficile» l’éducation aux écrans et leur régulation. Les dernières données de l’étude longitudinale Elfe, menée sur une cohorte de plus de 10.000 enfants, pointaient d’ailleurs que plus le niveau d’études des parents était faible, plus les enfants étaient exposés aux écrans.
Cette prise de position de l’Académie des sciences, qui se veut mesurée, suscite déjà des critiques sévères. «Ce document, fondé sur un argument d’autorité pure, n’apporte aucune recommandation concrète aux parents, s’insurge le Pr Michel Desmurget, chercheur à l’Institut des sciences cognitives de Lyon. De plus, il fait curieusement l’impasse sur bien des impacts négatifs solidement documentés, dont la sédentarité, le langage, l’attention ou les résultats scolaires.»