Vendredi, une cinquantaine d’éditeurs français ont déposé des recours en justice visant des activités de Microsoft. Cinq ans après l’entrée en vigueur de la législation des droits voisins, l’industrie de la presse s’efforce toujours d’être rémunérée pour l’exploitation de ses contenus.
Près de cinq ans après la transposition en droit français de la directive européenne instaurant de nouveaux droits voisins, la tâche de les faire respecter est toujours loin d’être achevée. Les éditeurs de presse sont désormais engagés dans des efforts permanents pour s’assurer que les géants de la tech les rémunèrent pour leurs contenus.
Tout dernier développement en date : vendredi, une cinquantaine de membres de l’Alliance pour la presse d’information générale (APIG) ont annoncé avoir déposé de façon simultanée des actions en contrefaçon devant le Tribunal judiciaire de Paris contre Microsoft. Et ces éditeurs – parmi les près de 300 fédérés par l’APIG – se préparent aussi à assigner en justice LinkedIn, le réseau social à destination des professionnels, inclus dans l’empire fondé par Bill Gates.
« Art de la négociation et actions en contentieux »
En parallèle, d’autres actions en justice séparées ont été enclenchées : le leader de la PQR, Ouest-France, a notamment lancé un recours visant les pratiques du géant américain alors que le groupe Le Figaro a décidé d’agir seul à l’encontre de LinkedIn, société distincte de Microsoft. Quant au groupe Les Echos-Le Parisien, il est parmi les acteurs français poursuivant la voie des négociations avec Microsoft.
« Dans leurs relations avec les géants de la tech, les éditeurs de presse sont entrés dans un nouveau mode de vie où il faut manier en permanence l’art de la négociation et des actions en contentieux, estime Pierre Louette, PDG du groupe Les Echos-Le Parisien et qui depuis la mi-octobre est également redevenu président de l’APIG. Aux renégociations régulières à mener sur les droits voisins s’ajoutent les négociations sur les utilisations présentes et futures de l’IA générative ».
Plusieurs dizaines de millions d’euros
Selon nos informations, les montants réclamés à Microsoft en application des normes sur les droits voisins seraient de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’euros, y compris les arriérés. Les litiges visent notamment l’exploitation des contenus des journaux sur le moteur de recherche Internet Bing, sur la page d’accueil Microsoft Start et le portail Web MSN, ainsi que leur circulation sur LinkedIn.
Interrogé par « Les Echos », un porte-parole de Microsoft réagit en soulignant que le groupe « est activement engagé dans des négociations avec plusieurs entités au sein de l’UE » et qu’il reste « déterminé » à conclure des accords avec les éditeurs « afin de les rémunérer équitablement pour l’affichage de leur travail sur Bing ».
Obligation de transmettre des données
N’empêche, les activités de Microsoft s’attirent les foudres tant d’acteurs de la presse quotidienne régionale (groupes EBRA et Le Télégramme) que de certains journaux nationaux (Libération, L’Humanité). « Malgré des demandes réitérées des éditeurs depuis plusieurs années, Microsoft et LinkedIn continuent de se soustraire à leur obligation de transmission des données, expliquait l’APIG dans un communiqué. Cette transmission est pourtant indispensable à l’ouverture d’une négociation de bonne foi et à l’établissement d’une juste rémunération pour l’utilisation des contenus de presse. »
Mais les procédures judiciaires sont en elles-mêmes « une perte de moyens et de chance », regrette Marc Feuillée, directeur général du groupe Le Figaro. « Personne ne veut faire des procédures judiciaires ; on le fait quand il n’y a pas d’autre moyen de parvenir à un accord », dit-il en appelant à renforcer le dispositif législatif français sur les droits voisins pour permettre aux éditeurs d’agir en arbitrage et éviter ainsi les litiges. La phase est particulièrement cruciale puisqu’en même temps les éditeurs français – à part Le Monde qui a fait cavalier seul – cherchent toujours à faire entendre leur voix pour obtenir des rémunérations de la part d’OpenAI (la start-up californienne associée à Microsoft) et des autres sociétés de l’IA par rapport aux « fouilles » opérées sur leurs contenus.
Renégociation des accords avec Google et Meta
Et l’autre urgence est le renouvellement des licences signées il y a trois ans avec Google et Meta au sujet des droits voisins. Selon nos informations, la renégociation des accords-cadres entre éditeurs et Google avance bien. Il faut dire que Google, qui avait au début longuement rechigné à payer pour les droits voisins, a fait l’objet de plusieurs rappels à l’ordre. En mars, l’Autorité de la concurrence lui a infligé une nouvelle amende de 250 millions d’euros pour certains manquements à ses engagements pris en 2022 à la suite d’une première sanction. Enfin, avec X, certains éditeurs ont déjà marqué une première victoire dans un tribunal. En mai, un juge a enjoint au réseau social détenu par Elon Musk de transmettre certaines données aux trois éditeurs de presse (Les Echos-Le Parisien, Le Figaro et le Monde) qui l’avaient saisi pour non-respect de la loi sur les droits voisins.
Lire : Les Echos du 11 novembre