D’ici deux à quatre années, vient de promettre le Premier ministre, une législation interviendra dans le paysage français, pour limiter le gaspillage. Il s’agit là d’interdire la destruction des produits non alimentaires invendus — dans le cadre d’un dispositif qui serait une première mondiale. Cocorico, oui, mais dans l’industrie du livre, on pince le nez…
« Si la loi de non-destruction des invendus était étendue aux livres, il faut mesurer l’impact ! Plus de pilon, mais une obligation de remettre sur le marche en discount à prix cassé voir en faire cadeau », s’inquiète un éditeur. « Le marché est déjà sursaturé et là c’est tout le système qui s’effondre. Du coup obligation pour les éditeurs de réduire encore les tirages pour éviter de donner les livres en fin de vie. »
Lutter contre un “gaspillage scandaleux”
Dans le principe, la mesure gouvernementale est pourtant des plus vertueuses : elle sera ajoutée au projet de loi antigaspillage, et pour une économie circulaire, qui doit être présentée en juillet prochain, lors du Conseil des ministres.
Elle a pour perspective d’introduire, d’ici la fin 2021, ou 2023 selon des dispositifs qui restent à définir, une obligation de don ou de recyclage des livres. Les deux dates se justifient par la présence, ou non d’une filière de recyclage — Responsabilité élargie des producteurs, ou REP — pour les produits concernés, avec la perspective de 2021. Pour ceux qui n’en disposent pas, on attendrait 2023.
Tout cela compléterait donc les mesures déjà en vigueur concernant la lutte contre le gaspillage de denrées alimentaires. Selon le Premier ministre, ce sont près de 650 millions € de produits non alimentaires qui alors qu’ils sont neufs — et parce qu’ils sont invendus — sont détruits annuellement.
Un « gaspillage scandaleux », a souligné Édouard Philippe qui entend demander aux entreprises de réemployer, donc, ou réutiliser ou recycler, sous peine de sanction, les biens invendus. Une réponse apportée à la demande formulée par les Français d’un accompagnement dans la transition écologique.
« Éviter de trop produire, éviter de gaspiller, faire en sorte que ce qui a été utilisé puisse redevenir une matière première, de façon à limiter l’impact de notre mode de vie, de notre consommation, de notre production sur notre milieu naturel », indiquait donc Édouard Philippe. Et comme les produits de luxe, qui détruisent pour conserver une image de rareté, seront également concernés, tout porte à croire que le livre ne sera pas vraiment épargné.
De fait, seuls les produits qui seraient inutilisables, avec une sorte de date de péremption, échapperaient à cette mesure.
Le pilon, ou l’art fragile du recyclage ?
Une étude présentée en septembre 2017 par le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne pointait que sur l’ensemble de la production imprimée, les éditeurs français en faisaient détruire 20 à 25 %, soit 142 millions d’ouvrages. Un principe de rentabilité court-termiste dénoncé par les auteurs de l’étude, mais que relativisait Pascal Lenoir, président de la commission Environnement et Fabrication du Syndicat national de l’édition.
Confirmant un taux de retour de l’ordre de 25 %, il nuançait le devenir des livres : « Ne sont en réalité pilonnés que les ouvrages abîmés, ainsi que ceux « au faible coût facial, qu’il coûterait trop cher de réintégrer dans le stock [… et] les livres millésimés qui par nature ont une durée de vie très courte ».
En revanche, les ouvrages non abîmés « sont réintégrés dans nos stocks et remis sur le marché en fonction des commandes libraires. Ce qui permet aux éditeurs d’éviter des réimpressions. Cela concerne tous les types d’ouvrage : les livres de littérature, les beaux-livres, les livres pour enfants, etc. ».
Or, si 100 % des ouvrages du pilon partent au recyclage, nous expliquait-il, il faut comprendre que « sur un plan purement économique, pour des ouvrages chers à produire si l’on compare le coût du tri et de la réintégration à celui de la réimpression, il est plus intéressant pour un éditeur de réintégrer un ouvrage dans le circuit de diffusion que de l’envoyer au pilon ». (voir l’entretien)…