La disparition de l’imprimerie blésoise Rollin et la vente de ses actifs interrogent le groupement de prévention agréé, la CPME 41 et l’Uniic.
L’issue de la liquidation judiciaire de l’imprimerie Rollin prononcée par le tribunal de commerce de Blois le 19 mars dernier (lire NR des 9 avril et 3 mai) suscite des interrogations. Et une polémique sur fond de campagne électorale pour les élections consulaires.
« Pourquoi a-t-on licencié des salariés en leur payant des indemnités alors qu’une proposition de reprise du personnel a été faite ?, questionne Patrice Duceau, président régional du Groupement de prévention agréé (GPA) Pourquoi a-t-on vendu à la découpe l’entreprise Rollin ? Qu’est-ce qui a été fait pour protéger les créanciers et les salariés ? Quand une affaire est liquidée, le mandataire doit en faire part aux entreprises du même secteur d’activité pour savoir si la reprise de la société les intéresse. Cela a-t-il été fait ? »
Patrice Duceau et Sébastien Lemaire, président régional de l’Union nationale des industries de l’impression et de la communication (Uniic) connaissaient bien cette imprimerie. « Antoine Rollin était un adhérent de l’Uniic. Il m’avait fait part de ses difficultés financières il y a plusieurs années, explique Sébastien Lemaire. Je lui avais alors conseillé de se tourner vers la CPME et le GPA. » Chose qu’il avait faite.
Dans le cadre du redressement judiciaire de Rollin acté en 2012, un plan d’apurement de la dette avait été mis en place. Pour baisser les charges de l’entreprise, la société d’économie mixte Territoires développement avait racheté le bâtiment Rollin, rue des Onze-Arpents, à Blois, contre un loyer. « Mais la chute de 40 % de son chiffre d’affaires l’an passé en raison du Covid nous a obligés à réétudier le dossier, explique Patrice Duceau. On sentait que c’était difficile de redresser la pente. »
D’éventuels repreneurs se positionnent alors. En avril 2020, Katia Dufour, dirigeante de l’imprimerie ISF, rue Vaucquois à Blois, avec l’aval de ses conseils, avait fait une proposition à Antoine Rollin pour reprendre les parts de son entreprise. Ce qui n’était à l’époque pas envisageable pour lui.
Une autre imprimerie, ITF, basée à Mulsanne dans la Sarthe avec une centaine de salariés, s’est aussi montrée intéressée. Elle connaît bien la société Rollin, puisqu’elle collaborait avec elle depuis quelques années. Quelques jours avant que la liquidation judiciaire ne soit prononcée, Gilles Fouquet, président-directeur général d’ITF, a fait une proposition de reprise de Rollin au mandataire judiciaire, avec la volonté de conserver une partie du personnel. Pas possible s’il ne reprenait pas les dettes. Il a donc revu son offre définitive en ne la portant que sur des éléments incorporels.
« On ne se base pas sur des intentions » Me Hubert Lavallart, mandataire judiciaire en charge de la liquidation de Rollin, explique que « si Rollin avait trouvé un repreneur pour apurer les dettes de son entreprise, cela aurait été très bien. La proposition d’ITF arrivée avant le prononcé de la liquidation n’était pas recevable. Et ensuite, l’offre définitive d’ITF ne portait pas sur la reprise du fonds de commerce ni sur le personnel. Le juge-commissaire ne se base pas sur des intentions. Les choses doivent être formalisées de manière définitive. Dans le cadre du rachat d’un fonds de commerce en liquidation judiciaire, le repreneur ne peut pas conserver qu’une partie du personnel : il doit reprendre l’ensemble des salariés ou personne. »
Sébastien Lemaire, président de Cogeprint à Blois qui travaille dans l’impression, le routage et le digital, a bien reçu une demande de reclassement du personnel de Rollin en date du 22 mars par le liquidateur, « mais le courrier ne mentionnait pas que le fonds de commerce était à reprendre. Dans le cadre d’autres liquidations, j’ai déjà reçu des propositions de reprise d’imprimerie de la région ou d’ailleurs. »
« L’un n’a pas été privilégié au détriment de l’autre » Au final, uniquement le fichier clients de Rollin a été vendu : ITF et ISF ont fait tous les deux une proposition de prix, dont les plis ont été dévoilés en présence des deux dirigeants de ces entreprises. « Les deux entreprises en question ont été mises sur un même pied d’égalité. On ne peut pas dire qu’un a été privilégié au détriment d’un autre », tient à précise Me Lavallart. Le plus offrant, en l’occurrence ISF, l’a remporté.
« Pas responsable de la liquidation de Rollin »
Par la voix de son président régional, le Groupement de prévention agréé se place sur le plan de « l’éthique » pour reprocher à Katia Dufour, la dirigeante d’ISF, « d’avoir profité du système ». Tout en reconnaissant la légalité de la démarche, Patrice Duceau estime « que les chefs d’entreprises doivent montrer l’exemple et ne pas se contenter de vivre sur la dépouille des autres. Je ne veux pas de ce modèle. Bien sûr qu’ISF avait le droit de racheter le fichier clients, la loi le permet. » Mais il conteste la manière. Il poursuit : « Quand on veut être leader dans un secteur, on ne s’y prend pas comme ça. On ne veut pas être représentés dans nos instances patronales et dans les chambres consulaires (1) par des personnes qui n’ont pas les mêmes valeurs que nous. »
Katia Dufour ne comprend pas qu’on puisse tenir de tels propos à son insu : « Je ne suis pas responsable de la liquidation de Rollin. On se trompe de combat en m’accusant. J’ai remporté le fichier clients et les gens ne le supportent pas. J’ai fait ce que beaucoup de gens auraient fait. Si ITF l’avait racheté cela n’aurait choqué personne. J’ai juste proposé la meilleure offre. Je n’ai rien volé à personne. Je n’y peux rien si Rollin a perdu sa boîte. Personne ne parle des dettes sociales, fiscales, des loyers impayés qu’il a laissés, ni du PGE qu’il a obtenu et qu’il ne remboursera pas. L’argent que j’ai versé pour l’achat du fichier clients va servir à payer des créanciers. Je subis des pressions qui sont malsaines. Je travaille comme une dingue pour développer mon entreprise. La réussite dérange. »
(1) A l’automne prochain, se dérouleront les élections à la chambre de commerce et d’industrie de Loir-et-Cher.
ITF a ouvert un bureau à Blois
L’imprimerie de la Sarthe n’a pas décroché le fichier clients de Rollin, ni pu reprendre du personnel dans le cadre de la liquidation. Malgré tout, le dirigeant d’ITF a poursuivi son développement en ouvrant début mai un bureau à Blois, rue Claude-Bernard, reprenant même trois salariés de chez Rollin, qui venaient juste d’être licenciés et de percevoir leurs indemnités. « La procédure m’a échappé. Je regrette juste que l’offre d’ITF qui voulait reprendre du personnel avant la liquidation n’ait pas été retenue par le mandataire », conclut Antoine Rollin.
Lire : La Nouvelle République du 22 mai