Dans l’actualité de ce jour est apparue soudainement l’annonce, reprise par tous les médias, d’un futur permis de conduire « dématérialisé », qui faciliterait naturellement la vie de l’automobiliste. Annonce qui nous prouve à nouveau que les choix lexicaux ne sont pas anodins.
Le Parisien a revendiqué l’exclusivité de l’annonce, suivi par France Info, Le Figaro, le Huffington Post et bien d’autres.
Le choix des mots, révélateur des idées reçues
Cette actualité illustre à nouveau la facilité avec laquelle un mot, utilisé sans plus y réfléchir, s’est imposé dans notre vie. La « dématérialisation », avec ses promesses subliminales d’écologie et de praticité, est revendiquée à tout bout de champ. On l’a vue récemment pour les tickets de caisse et même les menus de restaurants, après les e-billets de train, d’avion, de cinéma, les factures et relevés de compte, les notices de médicaments … Doit-on encore rappeler que la « dématérialisation » n’existe pas, et que la production d’un smartphone (parmi les équipements très matériels nécessaires au numérique) mobilise 70 kg de matières premières et plus de 70 composés différents, dont certains particulièrement rares et difficiles à recycler ?
Mais ce qui interroge ici, ce n’est pas tant la nouvelle utilisation d’un terme galvaudé. C’est la facilité avec laquelle les journalistes reprennent ce terme, sans recul ni réflexion sur le sens des mots. D’aucuns diront que le recul et l’analyse est pourtant leur métier… Avec un peu de dépit, on rappellera l’initiative lancée il y a quelques mois, d’une Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique, qui avait fait parler d’elle. Parmi ses 13 principes, cette charte rappelait que « L’écologie ne doit plus être cantonnée à une simple rubrique », et doit donc être prise en compte pour tout article, dans toute rubrique… Surtout, elle recommande de « s’interroger sur le lexique et les images utilisées. Il est crucial de bien choisir les mots afin de décrire les faits avec précision et rendre compte de l’urgence. Éviter les images éculées et les expressions faciles qui déforment et minimisent la gravité de la situation ». Alors, Le Parisien, France Info, Le Figaro, doit-on comprendre qu’un miraculeux permis dématérialisé, c’est-à-dire sans smartphone, réseaux, serveurs… entrera bientôt dans nos vies ? L’ironie, dans cette affaire, est qu’une recherche sur le site internet du Ministère de l’Intérieur permet d’accéder à une page où il n’est question… que de permis numérique.
La praticité des supports « dématérialisés », une réalité bien virtuelle ?
Outre l’interprétation biaisée en matière d’écologie, les annonces concernant ces supports prétendument immatériels sous-entendent aussi la praticité du numérique, qui révolutionnerait notre quotidien. Là encore, ce sujet a déjà été questionné, notamment par le Défenseur des droits. Au-delà des démarches administratives structurantes, on peut aussi s’interroger sur cette croyance conduisant les génies du marketing à vanter et imposer l’usage du numérique. Dans le cas présent, qui trouvera plus commode de devoir attraper son smartphone, le déverrouiller, accéder à une application, l’ouvrir, pour présenter à un agent un permis trop petit… en espérant ne pas être à court de batterie ? L’usage compliqué des menus numériques, difficiles d’accès et illisibles, ou des tickets de caisse numériques qui seraient plus pratiques qu’un simple bout de papier à présenter à la sortie du magasin sont des exemples récents qui devraient interroger.
Alors, à quand un journalisme d’investigation… de la vie quotidienne ?