La réponse gouvernementale à la crise fait la part belle à une reconquête de notre « souveraineté industrielle » via les relocalisations. Aurait-on trouvé là un remède à la désindustrialisation du pays ? Dans ce document de travail, La Fabrique de l’industrie explique pourquoi il n’en est rien.
La réponse gouvernementale française à la crise économique déclenchée par la pandémie Covid-19, tout comme le débat public qui l’a entourée, fait la part belle à l’idée d’une reconquête de notre souveraineté industrielle et de réindustrialisation du pays, notamment en encourageant les relocalisations. Si les deux premières notions sont assez consensuelles, les relocalisations – et les délocalisations en miroir – font l’objet d’une intense littérature scientifique, montrant en tout premier lieu qu’on peut les définir de diverses manières.
La souveraineté consiste à ne pas dépendre de la bienveillance d’autrui pour satisfaire certains besoins et à pouvoir agir sans être soumis à la volonté d’un autre État ou d’une entreprise. La fragmentation des chaînes de valeur peut ainsi créer des situations de dépendance : les catégories de biens « stratégiques » représenteraient aujourd’hui un cinquième des importations françaises. Il reste que la souveraineté s’apprécie dans un domaine, par rapport à un objectif, et dans un périmètre géographique spécifiques. Elle ne suppose pas l’autarcie.
La désindustrialisation, souvent entendue au sens du recul relatif de l’emploi industriel dans l’emploi total, découle de divers facteurs : externalisations de certaines fonctions tertiaires vers des entreprises de services, gains de productivité, déformation de la demande… et effets du commerce international. La désindustrialisation est par essence une transformation et non un affaiblissement, même si l’histoire récente montre qu’elle met les territoires et les marchés de l’emploi sous tension. Mais lorsqu’un pays concède des parts de marché faute de compétitivité, ce qui a été le cas de la France, alors la désindustrialisation est le visage perceptible d’une érosion de la souveraineté économique.
Les délocalisations, au sens strict, correspondent au transfert d’une unité de production française dans un pays étranger, souvent pour profiter de coûts inférieurs. Mais certains considèrent comme une délocalisation le fait d’ouvrir à l’étranger une unité de production qui aurait pu être localisée en France, parfois pour être plus proche du marché de destination. Très débattues, les délocalisations ont fait l’objet de diverses tentatives de quantification, délicates pour des raisons tant pratiques que conceptuelles. Elles aboutissent globalement à l’ordre de grandeur de quelques dizaines de milliers d’emplois industriels perdus chaque année en France : entre 9 000 et 27 000 par an selon les périodes étudiées et les méthodes employées. Dans une acception large, le commerce international peut, certaines années, avoir expliqué jusqu’à 34 000 destructions d’emplois dans l’ensemble de l’économie. Globalement, ces nombres demeurent modestes et doivent surtout être mis en regard des effets positifs des échanges, y compris en matière de création d’emplois. En effet, il est solidement établi aujourd’hui que l’impact global des échanges internationaux sur le volume d’emploi est proche de zéro. Ce chiffrage est plus délicat sur le seul pourtour de l’emploi industriel. En France et depuis trente ans, le commerce mondial a pu temporairement expliquer jusqu’à un tiers, sans doute, du recul de l’emploi industriel, ses effets positifs se manifestant dans le même temps par la création d’emplois notamment tertiaires.
Mais les délocalisations stricto sensu restent un aspect assez marginal de ce flux asymétrique et ne sont pas aisément réversibles. En conséquence, les relocalisations ne seront pas un vecteur significatif de réindustrialisation du pays, mais l’industrie française peut trouver une voie de consolidation dans un mouvement de régionalisation qui semble engagé.
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